Récolte de miel à Socota

     Nous voici sur notre deuxième mission avec Envol Vert Colombie à Socota ! Nous restons 3 semaines pour travailler sur le projet Blé et Apiculture, conjoint avec Agrosolidaria, dans ce petit village andin à l’Est de la capitale Bogota (nous vous présenterons le projet global dans un prochain article).

     Pour notre 3e sortie dans le « campo » (champs) de Socota avec les autres volontaires d’Envol Vert et des membres d’Agrosolidaria, nous sommes allés chez Don Hector et sa famille qui, en plus de cultiver le blé, ont récemment commencé l’apiculture. Nous sommes venus leur prêter main forte dans leur première récolte de miel. Attentifs aux explications des membres expérimentés d’Agrosolidaria et d’Envol Vert, nous avons appris à extraire les cadres d’alvéoles, centrifuger le miel, mais aussi comment fonctionne une colonie d’abeilles.

     Voici quelques photos de la journée :

Arrivée chez Don Hector et préparation des tenues

Récolte des cadres alvéolés dans les ruches

Centrifugation des cadres et mise en pot

     A noter que nous avons frôlé la catastrophe : lors de l’intervention sur la 3e et dernière ruche, la reine a quitté la ruche, déclenchant le processus de migration. De nombreuses abeilles se sont agglutinées autour d’elles sur une branche, formant un essaim de protection. Heureusement, nous avons pu la remettre en sécurité dans la ruche.

Pour en savoir plus sur les abeilles

     Les abeilles ont été cultivées par les humains depuis longtemps pour leur produit unique possédant de nombreuses vertus. Comme toutes les abeilles, les guêpes, les fourmis ou les termites, ce sont des espèces d’« insectes sociaux », appelés hyménoptères.

     Les hyménoptères ont développé une capacité incroyable unique dans le monde du vivant : la vie en colonie. Chaque colonie possède une reine dont la seule fonction est de pondre des œufs (jusqu’à 3000 par jour pour les abeilles). Les autres membres sont spécialisés : ouvrières, guerrières, nourricières, etc… A la naissance, toutes les femelles sont identiques ; c’est par la suite qu’elles se spécialiseront.

     Les abeilles sont particulières : elles enchaînent les spécialisations en fonction de leur âge. En tout, elles exercent successivement 7 rôles au cours de leur vie : nettoyeuse, nourrice, architecte, manutentionnaire, ventileuse, gardienne et butineuse. Notons que les abeilles mâles remplissent également certaines de ces fonctions. Et que tous les membres de la colonie, sans exception, sont dévoués à leur reine. Et c’est ça qui change la donne ! Voici pourquoi.

Comment marche la fécondation ?

     Vous avez sûrement déjà vu des vidéos d’abeilles se jetant sans hésiter sur un frelon ou un ours bien plus gros qu’elles. Ou de fourmis récoltant des feuilles jusqu’à mourir d’épuisement. Et vous vous êtes probablement déjà demandé ce qui les poussait à se comporter ainsi, sans aucune considération pour elles-mêmes. Ce trait de caractère est commun à tous les hyménoptères et leur permet de faire prospérer leur colonie. Mais ce n’est pas vraiment par loyauté sans borne mais plutôt par intérêt biologique – et donc finalement égoïste – que les membres protègent leur reine. Pour comprendre, intéressons-nous aux mâles des colonies.

     Lorsque la reine pond un œuf, celui-ci n’est pas toujours fécondé. Dans ce cas, cela donne naissance à un mâle et dans le cas contraire, à une femelle. Du fait de la non-fécondation, les mâles n’ont que la moitié du nombre de chromosomes (16) que possède les femelles (32). C’est la “parthénogenèse“. Les mâles occuperont une place spéciale dans la colonie, jusqu’au moment où ils auront l’occasion de féconder une autre reine. A l’issue d’une parade nuptiale l’opposant à d’autres mâles, un mâle peut avoir une chance de féconder une reine. Celle-ci gardera son sperme dans son abdomen, qui lui servira, à travers de multiples duplication cellulaires, à pondre l’intégralité de ses œufs. Ce sperme contient donc le code génétique du mâle, qui, rappelons-nous, correspond à la moitié de celui des femelles, et donc de la reine.

     Or, comme pour les humains, la reine transmet à sa descendance 50% de son code génétique, dans une combinaison génétique unique pour chaque enfant. Chez l’Homme, c’est le cas pour le père et la mère. Cependant, le mâle abeille transmet toujours le même code génétique : il n’a qu’un seul exemplaire de chaque chromosome, contrairement à la reine qui possède une paire de chaque. On dit alors que le mâle n’apporte pas d’indéterminisme dans la fécondation : il apporte systématiquement les mêmes gènes à ses enfants. Ainsi, deux sœurs abeilles – soit tous les membres femelles de la colonie – partagent 75% de leur code génétique : 50% du père et 25% de la reine (la mère transmet toujours la moitié de son code génétique, qui lui représente la moitié de ce que recevra l’enfant). Chaque sœur est différente, car il existe une infinité de possibilité pour constituer les 50% de code génétique transmis par la mère. Mais ce sont tout de même ce qu’on appelle des semi-clones. Et c’est cela qui change la donne dans leur comportement.

Pourquoi un tel dévouement ?

     En effet, l’évolution a fait en sorte que chaque individu vivant cherche à transmettre un maximum de son patrimoine génétique au sein de son espèce (cela favorise l’émergence de forces au sein d’une espèce et garantit sa survie). Pour la plupart des êtres vivants, cela nécessite de se reproduire soi-même : un parent transmettra 50% de ses gènes à son enfant, qui partagera lui 50% de son code génétique avec chacun de ses parents. Cela vaut pour les abeilles : chaque abeille femelle partage 50% de ses gènes avec sa mère. Mais nous avons vu qu’elle partage également 75% de ses gènes avec ses sœurs. Le calcul est vite fait : pour propager ses gènes au sein de son espèce, une abeille a davantage intérêt à avoir une sœur qu’une fille ! Elle va donc prioriser la survie de sa mère plutôt que se reproduire elle-même. En résulte l’émergence de colonies totalement dévouées à leurs reines.

Et pour changer de règne ?

     Mais cela ne peut pas durer éternellement, vous vous en doutez. Une reine abeille reste productive 3 ans en moyenne, alors que les membres ne vivent pas plus de quelques mois. Toujours par principe biologique, il est intolérable pour une colonie de conserver une reine infertile. Les hyménoptères possèdent donc un mécanisme de renouvellement de leur reine. Les membres de la colonie choisissent parfois des larves femelles spécialement fortes, qu’elles nourrissent avec la gelée royale. Cette gelée déclenche une spéciation des larves, qui deviennent alors de potentielles reines. Une fois adulte, la meilleure reine est sélectionnée pour remplacer l’ancienne et les autres prétendantes sont tuées – n’y voyez aucune cruauté, elles n’auraient servi à rien à la colonie. Survient alors un coup d’Etat lors duquel l’ancienne reine, moins productive, est chassée de la ruche avec un cortège de quelques milliers d’abeilles – seulement – qui assureront la construction et le développement d’une nouvelle ruche toujours fidèle à l’ancienne reine. Il y a donc scission en deux colonies : la nouvelle reine putschiste sera fécondée par un autre mâle, et la colonie initiale fera rapidement peau neuve avec des individus éloignées génétiquement de leurs tantes (abeilles de l’ancienne génération).

     Dans le cas où la reine meurt prématurément, les membres s’affèreront à la remplacer par le même processus en nourrissant des larves femelles avec de la gelée royale. Si cela échoue, la colonie est vouée à disparaître, privée de nouveaux membres. Ajoutons finalement que les larves royales ne doivent pas être surprises par la reine, qui les tuerait sans hésiter : c’est effectivement le seul membre de la colonie qui a un intérêt biologique à penser à lui !

     Petite précision : la reine abeille est en fait fécondée par plusieurs mâles au moment de l’accouplement, et stocke le sperme de chacun. Cela permet d’avoir une diversité génétique au sein de la colonie, ce qui favorise sa résilience (au froid, aux attaques, etc…). Il en résulte l’existence de plusieurs « belles-familles » au sein de la colonie, mais chaque abeille conserve son intérêt mathématique à protéger la reine au péril de sa vie.

     Voilà, vous savez (presque) tout sur le fonctionnement d’une colonie d’hyménoptères, et donc sur celui d’une ruche ! Le phénomène de migration de la vieille reine est très étudié par les apiculteurs aguerris : s’ils sont attentifs aux signaux de leurs ruches, ils peuvent intervenir au moment de l’expulsion de la vieille reine et la placer dans une nouvelle ruche préconstruite. C’est ainsi qu’ils peuvent étendre leur nombre de ruches !

Sources :