Encyclopédi'arbre

Tout comprendre de la déforestation en 10 chapitres

Chapitre 1 :
De la déforestation

        Ce premier chapitre fera office d’introduction à cet ouvrage qui se veut être une sorte d’encyclopédie de la déforestation, offrant un tour d’horizon du problème, de ses enjeux et de ses solutions. Nous commencerons donc par présenter les chiffres de la déforestation, dans le monde, en France et en Amazonie, afin de saisir l’ampleur du problème et d’identifier ses parties prenantes.

Quelques chiffres sur la déforestation

             Près d’un tiers (31%, FAO) des surfaces émergées du globe sont couvertes par de la forêt. Cela peut sembler beaucoup, mais rappelons que, tout comme les récifs coraliens sous l’océan, les forêts représentent l’habitat primaire de la vie sur la terre ferme. Ce sont les arbres qui, il y a 400 millions d’années, ont permis de produire le dioxygène nécessaire à l’émergence de vie en dehors des océans. Les forêts sont donc la clé de voute de la vie émergée, et les arbres se propagent partout où ils peuvent le faire. Et malheureusement, ils le font de moins en moins.

            Selon Global Forest Watch, la Terre a perdu 437 millions d’hectares de forêt entre 2000 et 2021. Cela représente 8 fois la surface de la France métropolitaine, et près de 3% de la surface émergée. Cela représente aussi, schématiquement, 1 terrain de football boisé qui disparaît toutes les secondes. Seules 49% des forêts primaires sont encore intactes dans le monde. Mais qu’est-ce qu’une forêt primaire ? Reprenons.

             La FAO (Food and Agriculture Organisation) donne les définitions suivantes :

  • Une forêt est une surface mesurant plus de 0.5 hectare regroupant des arbres d’au moins 5 mètres de haut implantés naturellement, qui représentent au moins 10% de cette surface.
  • Une forêt primaire est une forêt d’espèces arboricoles indigènes où aucune trace d’activité humaine n’est clairement visible et où les processus écologiques ne sont pas sensiblement perturbés.
  • La déforestation est la transformation définitive de forêt en d’autres formes d’exploitation des sols.

La déforestation de forêts primaires est donc particulièrement problématique, mais nous y reviendrons plus tard.

Répartition et évolution des surfaces forestières

             Pour se faire une idée d’où sont situées les forêts sur le globe, voici une carte de la FAO :

Source : FAO

             Plus de la moitié (54 %) des forêts du monde se trouve dans cinq pays uniquement – Russie, Brésil, Canada, États-Unis, Chine. La politique de ces cinq pays a donc d’importantes conséquences sur la gestion des forêts mondiales, et la question de souveraineté nationale est parfois remise en cause, notamment suite à l’inaction de l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro vis-à-vis de la forêt amazonienne, dont 63 % se trouvent au Brésil.

            On s’aperçoit que la forêt est scientifiquement décomposée en 4 « biomes », chacun assurant des fonctions écologiques distinctes. Les forêts tropicales sont celles stockant le plus de carbone comparativement, et abritant la plus grande part de biodiversité (voir chap. 3). Malheureusement, alors même qu’elles seraient les plus importantes à protéger, ce sont elles qui subissent le plus la déforestation, comme le montre cette carte (FAO) :

Source : FAO

             Les surfaces forestières ont augmenté en Europe, en Asie et en Amérique du Nord, mais diminué en Amérique du Sud et en Afrique. Certains pays comme le Brésil (-1,5 Mha/an), le Congo (-1,5 Mha/an) ou l’Indonésie (-750 000 ha/an) déforestent énormément, mais d’autres comme la Chine (+1,9 Mha/an), l’Autralie (+450 000 ha/an) ou l’Inde (+250 000 ha/an) reforestent sans relâche. Notons bien toutefois que la reforestation n’a pas la même valeur que la non-déforestation. En effet, les surfaces reforestées ne retrouvent pas les mêmes vertus écologiques que les forêts primaires avant des milliers d’années (voir chap. 5). Le bilan écologique pour les espèces est donc beaucoup plus lourd que les 101 M ha nets de déforestation relevés par Global Forest Watch. Car oui, il y a une précision à apporter.

            Les chiffres de la déforestation sont souvent atténués par ceux de la reforestation : les images satellites peuvent aisément calculer la couverture boisée de la planète, mais on ne peut dégager de ces chiffres que la déforestation nette : déforestation + reforestation. Or, nous verrons plus tard qu’il vaut mieux éviter de déforester tout court. Voici l’évolution de la déforestation nette, entre 1990 et 2020 (FAO) :

             Ce graphique peut tromper : il apparaît que la déforestation a largement perdu du terrain sur les 30 dernières années. Il faut nuancer : c’est plutôt la reforestation qui a entamé sa reconquête. Vous comprendrez mieux l’enjeu dans les chapitres suivants ! (voir chap. 6)

En bref

437 Mha de forêt ont disparu entre 2000 et 2021. Mais la forêt repousse, naturellement ou par la main de l’homme. Au total, si on observe la Terre depuis l’espace, on dénombre 101 Mha de forêt en moins entre 2000 et 2021. Pour se donner une idée, la France métropolitaine fait 55 Mha.

Les chiffres de la FAO et de Global Forest Watch s’accordent sur ces données.

             Voici détails de l’évolution nette en proportion de couverture forestière, par secteur géographique :

             Ainsi qu’un zoom sur deux régions pertinentes pour notre projet : l’Europe et l’Amérique du Nord (France) et Amérique latine et Caraïbes (Amazonie) :

             On s’aperçoit que les forêts européennes et nord-américaines regagnent du terrain sur ces dernières années, tandis que les forêts d’Amérique du Sud et des Caraïbes reculent…

             Selon des prévisions de 2015, sur la période 2010-2030, les forêts tropicales seront les plus sujettes à la déforestation, comme le montre ce classement :

RégionSurface déforestée
Bassin amazonien23 - 48 Mha
Région du Mékong15 - 30 Mha
Bornéo22 Mha
Cerrado (forêt fragmentée)15 Mha
Bassin du Congo12 Mha
Afrique de l’Est (forêt fragmentée)12 Mha
Gran Chaco (forêt fragmentée)10 Mha
Papouasie-Nouvelle-Guinée7 Mha
Australie Orientale (forêt fragmentée)3 - 6 Mha
Sumatra5 Mha

             Nous verrons plus tard en quoi les forêts fragmentées sont particulièrement problématiques (voir chap 5).

             Le bassin amazonien est le premier mauvais élève : les causes principales de sa dégradation sont :

    • L’élevage
    • L’agriculture industrielle
    • Les petits exploitants
    • Les infrastructures
    • L’hydroénergie

D’autres causes moins importantes existent telles que les incendies naturels et l’extraction de matières premières.

Quelles sont les principales causes de la déforestation ?

             Etudions désormais plus en détail les principales causes de la déforestation, en Amazonie et dans le monde.

a) Les exportations

             Cette cause n’est pas directe, mais elle permet néanmoins d’illustrer l’impact que tous les citoyens du monde, notamment les Européens, peuvent avoir sur les forêts tropicales.

             Entre 2000 et 2009, la production exportée vers l’Union Européenne a été responsable du déboisement de forêts tropicales d’une surface équivalente à 1 million de terrains de football (soit 10 km²) et a engendré le rejet d’au moins 1000 millions de tonnes de CO2.

             En Amazonie, les principales exportations concernées sont le soja et le bœuf. Ces produits sont principalement exportés en Europe et au Moyen-Orient. Par exemple, les exportations de bœuf brésiliennes à destination de l’UE ont émis entre 250 et 400 MtCO2 entre 2000 et 2009. Les exportations brésiliennes représentent 20% des exportations mondiales de produits bovins (viande, cuir, gélatine). Le Brésil est le premier pays exportateur de ces produits. C’est aussi le premier éleveur de bovins au monde : 232 M bœufs (en 2018).

b) L’agriculture

             Pour nourrir ce bétail, l’herbe des pâturages ne suffisent pas : on produit du soja, beaucoup de soja. 37 Mha au Brésil sont couverts par des champs de soja : c’est plus grand que l’Allemagne (pour rappel, la France fait 55 Mha). Cette surface a triplé en 20 ans. Deux tiers de ces champs sont situés en Amazonie, et le tiers restant dans le Cerrado et le Mato Grosso. 80% du soja brésilien sert à nourrir le bétail. Les forêts brésiliennes ont ainsi perdu 41 Mha en 30 ans, passant de 380 Mha en 1988 à 339 Mha en 2018 (-11%).

             On estime que, selon les zones, l’agriculture intensive et les petits agriculteurs représentent presque 50% chacun de la déforestation amazonienne. En effet, 80% de la déforestation amazonienne a pour but de créer des pâturages pour du bétail. En Amazonie, les infrastructures telles les routes sont souvent construites pour poursuivre l’expansion des surfaces agricoles et peuvent parfois être prises en compte dans la part « agriculture ». Dans les faits, 95% de la déforestation mondiale se produit dans les 5 km autour des routes ou des voies navigables : les infrastructures sont donc un vecteur majoritaire de la déforestation (vidéo illustrative). Les projets hydroélectriques quant à eux ne concernent que les zones fluviales.

               Le problème de l’agriculture se retrouve partout ailleurs dans le monde. Plus de 5 Mha/an sont déforestés pour l’agriculture. Pour les forêts tropicales, cela représente plus de 60 Mha déforestées à des fins agricoles depuis 2000. C’est comme si on avait coupé 3,5 fois les forêts françaises métropolitaines. Pour information, la France métropolitaine comporte 17 Mha de forêt (~1/3 de l’hexagone), le reste significatif se trouve en Guyane française, constituée de 8 Mha de forêt (96% du territoire).

c) Les incendies

             Les incendies modifient depuis 400 millions d’années les écosystèmes. Ils sont une composante essentielle de l’évolution de la biodiversité : un feu permet à de nouvelles espèces de prospérer, stimule la concurrence et favorise les plus fortes, en plus d’éliminer les parasites. Malheureusement, le réchauffement climatique augmente dangereusement le rythme de ces incendies. De plus, seuls 4% des feux de forêt sont naturels. Les 96% restant sont d’origine humaine, notamment à des fins agricoles. De plus, 264 000 personnes meurent chaque année à cause d’infections respiratoires liées aux incendies.

             Depuis le début du siècle, 119 millions d’hectares de forêt ont disparu à cause des incendies (sur les 437 Mha – Global Forest Watch). De 2,5 Mha en 2001, à 9 Mha en 2021, les chiffres n’ont cessé de croître, et chaque année est présentée comme un record dans les journaux télévisés. Les incendies ont ainsi causé 36,6% des pertes de surface forestière en 2021. Global Forest Watch et le World Resources Institute ont mené une étude et synthétisent ces chiffres sur les 20 dernières années :

Source : Global Forest Watch et World Resources Institute

Remarque : les chiffres correspondent ici à une définition de forêt de densité de couverture arborée de 30% minimum, alors que la définition de la FAO indiquait une densité de 10%. Voilà qui illustre la versatilité des données disponibles.

             On constate ainsi bel et bien une tendance à la hausse sur la période. Regardons à présent la répartition géographique des pertes totales dues aux incendies sur ces 20 années :

Source : GBF et WRI, données compilées et mises en forme par Ouest France avec FlourishMaps

             Pour comprendre cette carte correctement, n’oubliez pas que ces chiffres ne tiennent pas compte de la taille des pays : comparativement, la Bolivie ou l’Indonésie ont bien plus souffert des incendies que le Brésil ou la Russie par exemple.

             Les incendies sont symptomatiques d’un cercle vicieux naturel exacerbé par l’action humaine des départs de feu volontaires : plus il faut chaud, plus le risque d’incendie est élevé et les arbres disparaissent. L’environnement est alors encore plus chaud et sec l’an suivant, et on recommence :

Source : GBF et WRI

             Ces boucles de rétroaction sont très fréquentes dans la nature : il nous sera donné d’en recroiser plusieurs dans les chapitres suivants. Cela résulte du fait que les équilibres naturels sont ultra-complexes car dépendant d’un très grand nombre de paramètres. S’ils ont mis des millions d’années à s’établir, le moindre changement d’un de ces nombreux paramètres déclenche une perturbation qui a de grandes chances de créer un effet domino.

d) Les activités illégales

             Comme les problèmes ne viennent pas seuls, les trois points précédents (exportations, agriculture, incendies) ont parfois leur part d’illégalité. Pour contourner les quelques législations encadrant la gestion forestière, de véritables cartels exploitent les ressources naturelles qu’offrent les forêts à des fins lucratives : bois, animaux, plantes…

             Le déboisement illégal et la conversion des forêts en terres agricoles ont émis 1,5 Gt CO2, soit l’équivalent de 3 fois les émissions de la France en 2019 (sur la base de 7 tonnes CO2/Français/an). On estime que 40% de la déforestation est pratiquée illégalement.

             Interpol estime qu’entre 47 et 140 Mrd€ de bois sont commercés illégalement chaque année (soit le PIB du Koweït) : principalement du palissandre, du bois d’aloès et de l’acajou (en raison de leur tronc épais et rectiligne), alors qu’ils sont souvent menacés. Ces déforestations illégales ont surtout lieu au Brésil, dans le bassin du Congo, en Russie, en Chine et en Asie du Sud-Est. Les exportations des produits de ces activités illégales sont principalement à destination des USA, de l’Europe, de la Chine et du Japon.

             Ces activités blanchissent parfois leur argent en créant de nouvelles plantations d’arbres, qu’elles peuvent alors exploiter légalement. Environ 25% des surfaces forestières mondiales sont privées, contre 75% publiques. Ce sont principalement ces surfaces qui sont ciblées par les activités illégales.

             Notons que toutes ces causes sont presque systématiquement interconnectées : les terres déforestées pour l’agriculture le sont souvent par des incendies volontaires (abatis-brulis), et les produits sont généralement exportés, parfois illégalement…

             On remarque qu’en tant qu’Européens, nous avons un fort impact dans ces mécanismes et nous pouvons donc, par le biais de notre consommation, améliorer la situation (voir chap. 10).

             Le tableau suivant synthétise les chiffres de la déforestation mondiale, en classant les causes selon les séquelles qu’elles laissent sur les forêts :

Type de déforestationCausesRépartition
Déforestation définitiveInfrastructures (habitations, routes…)1 %
Production ou extraction de matières premières (agriculture, mine…)20 %
Déforestation définitive ou régénération possibleAgriculture migratoire25 %
Incendies de forêts26 %
Déforestation temporaire, souvent reboiséeExploitation du bois28 %
CausesRépartition
Infrastructures (habitations, routes…)1 %
Production ou extraction de matières premières (agriculture, mine…)20 %
Agriculture migratoire25 %
Incendies de forêts26 %
Exploitation du bois28 %

             Dans tous les cas (déforestation définitive, régénération possible ou reboisement), la forêt primaire est détruite et ce qui la remplace n’assure jamais la même vertu écologique !

             Notons que l’agriculture représente jusqu’à 45 % combinés. L’agriculture migratoire est pratiquée par des petits agriculteurs car elle leur garantit un sol en pleine santé leur offrant les meilleurs rendements (voir chap. 8). Les 25% associés sont précisément la cible de Phoenix Forest.

Conclusion

             Les forêts mondiales sont aujourd’hui menacées. La récente prise de conscience débutée dans les années 1990 a encouragé certains pays à entamer des programmes de préservation et de reboisement, mais les hectares de forêts primaires perdus le sont à jamais. Si les pays du Nord ont les moyens de protéger leurs forêts restantes, les pays du Sud continuent majoritairement de déforester pour leur croissance. Or, ils possèdent souvent des forêts tropicales à forte valeur écologique.

             La déforestation est principalement causée par l’agriculture, l’exploitation du bois et l’industrie minière. Des routes doivent être construites pour permettre cette déforestation, qui se fait souvent par le feu. Environ 40% de cette déforestation est illégale. L’Europe, par ses importations, exerce une immense pression sur les forêts du monde entier : l’UE est la deuxième responsable de la déforestation des forêts tropicales.

             Pour conclure ce premier chapitre factuel, reprenons la boucle de rétroaction évoquée avec le problème des incendies. Moins une forêt est dense, plus le rayonnement solaire est absorbé par le sol et plus l’environnement se réchauffe. Il y a alors encore moins de pluie, et donc moins d’arbres, et donc plus de réchauffement, etc… Cela forme un cercle vicieux, qui peut transformer des forêts primaires denses (comme l’Amazonie) en savanes éparses qui n’assurent plus leurs fonctions essentielles comme la régulation du climat, l’hébergement de la biodiversité ou la purification de l’air et de l’eau.

             Les scientifiques estiment qu’au rythme où vont les émissions de gaz à effets de serre (GES), 450 Mha de forêts tropicales seront devenues des savanes d’ici 2050 (cela représente 8 fois la France). Il existe donc une quantité d’arbres critique propre à chaque forêt en dessous de laquelle la déforestation est naturelle : les arbres meurent d’eux-mêmes sans l’action de l’Homme. Il faut à tout prix éviter d’atteindre ces points de rupture. Or, l’Amazonie s’en rapproche dangereusement…

             Pour suivre la déforestation et le reboisement en temps réel dans le monde par image satellite, rendez-vous sur globalforestwatch.org.

à retenir

31%

des terres émergées sont couvertes par des forêts

1 terrain de football de forêt disparaît chaque seconde

49%

des forêts primaires sont encore intactes

Les forêts tropicales sont les plus importantes mais aussi les plus menacées

45%

de la déforestation est causée par l'agriculture, en particulier l'élevage

L’action de l’homme peut rapidement chambouler l’équilibre des  écosystèmes et les faire s’effondrer d’eux-mêmes

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David Soulema - Décembre 2022