Projet Blé et Apiculture - Envol Vert colombie

     Du 6 au 25 février, nous étions à Socotá avec Envol Vert Colombie et Agrosolidaria pour travailler autour de l’agroécologie dans les Andes colombiennes.

     Situé à l’est de la capitale Bogota, à 2400m d’altitude, Socotá est un village historiquement agricole. Mais la présence de mines, principalement illégales mais tolérées, change peu à peu le climat social et menace l’environnement. Socotá est situé en partie dans le Parc National de Pisba, qui accueille en son sein un páramo, écosystème unique et fragile.

     Pour protéger l’environnement et redynamiser l’agriculture, Envol Vert soutient le projet porté par l’association locale Agrosolidaria Socotá. Ce projet incite les agriculteurs participants à pratiquer l’agroécologie. Concrètement, cela signifie leur apprendre comment se passer de produits chimiques dans leurs cultures, et construire avec eux des pépinières qui hébergeront des pousses d’espèces natives de la région. Ces arbres seront ensuite plantés dans un modèle agroforestier sous forme de haies protégeant les champs et bénéficiant aux écosystèmes.

     Nous avons interviewé Miguel, l’ingénieur agricole d’Agrisolidaria avec qui nous avons travaillé pendant ces 3 semaines, pour qu’il nous présente le projet :

Notre travail

     Envol Vert soutient Agrosolidaria en lui apportant des fonds, mais aussi des volontaires venant prêter main forte dans les diverses activités du projet. Nous sommes ainsi venus nous ajouter à Amélie et Juliette pendant 3 semaines. Tous les 5, nous accompagnions Miguel et Alba, présidente d’Agrosolidaria Socotá dans les tâches manuelles et éducatives. Voici ce que nous avons fait concrètement :

a) Apiculture

     Les abeilles sont une espèce clé dans l’agroécologie. Pollinisateurs naturels, leur présence est un indicateur de la bonne santé d’un écosystème. Sans elles, fertiliser les plantes à la main est une tâche titanesque. Mais pour leur bien-être, hors de question d’utiliser des insecticides. De plus, elles produisent des substances possédant d’innombrables vertus : miel, propolis, cire … les agriculteurs peuvent en tirer des bénéfices pour leur santé, et pour leur portefeuille !

     En effet, Agrosolidaria accompagne les participants du projet dans le processus d’apiculture : création de ruches, entretien, récolte et vente du miel. Les membres expérimentés de l’association apprennent aux agriculteurs toutes les étapes afin de les rendre autonomes, et le miel est revendu à Bogota via leur marque Chinyia pour leur garantir des prix de vente décents.

     Nous avons donc participé à la récolte de miel et à l’entretien de ruches chez plusieurs agriculteurs. Retrouvez un article détaillé sur cette activité : Récolte de miel à Socota .

b) Battage du blé

     Le blé (« trigo ») est une culture ancestrale dans la région de Socotá. C’est la source de revenu principale des agriculteurs du projet. Principalement cultivé pour produire de la farine puis du pain, il est également une source nutritive importante.

     Le projet d’agroécologie porté par Agrosolidaria se concentre sur le blé, pour populariser les différentes techniques agricoles durables : comment optimiser son rendement sans produits chimiques, comment bien nourrir son sol, comment récolter le blé et le conserver.

     Ces techniques ancestrales, respectueuses de l’environnement, permettent la pratique d’une agriculture vertueuse et lucrative, encourageant les habitants à ne pas délaisser les cultures pour le travail à la mine.

     Nous avons participé au battage du blé sur de nombreuses fermes du projet. Avec une grande coordination, nous enfournions les épis dans une trieuse qui séparait les grains. En tout, c’est plus d’une tonne de blé que nous avons récolté !

c) Construction d'une pépinière

     Dans une région sèche où les sols sont pollués par l’activité minière et les écosystèmes perturbés par l’arrivée de l’eucalyptus, il est essentiel de planter des arbres natifs pouvant à la fois assainir les sols, stocker de l’eau, et protéger les cultures des intempéries.

     Agrosolidaria construit donc des pépinières communautaires dans lesquelles les membres du projet font germer des espèces sélectionnées sur le carreau pour ensuite les planter sur leurs parcelles.

     Nous avons construit de A à Z une de ces pépinières chez Don Jaime, sous la supervision de Miguel, l’ingénieur.

     Retrouvez l’interview de Don Jaime présentant l’utilité de la pépinière :

d) Formations des agriculteurs

     Afin de garantir d’autonomie des participants du projets, Agrosolidaria dispense toutes les 2 semaines des cours sur divers sujets. C’est également l’occasion pour les agriculteurs de partager entre eux leurs savoirs et les bonnes pratiques.

     Dans la bibliothèque communale, nous avons participé à l’élaboration d’un cours sur le compostage et la conception de biofertilisants, que nous avons dispensé avec Miguel. Les agriculteurs semblaient captivés et interessés par l’apprentissage d’une technique permettant de valoriser tous les déchets de leurs fermes sous la forme d’engrais organique (« bio- »). 

     À l’issue de la séance, un agriculteur passionné, Don Jaime, a même spontanément fait une présentation powerpoint sur son expertise du blé.

     Retrouvez notre vlog récapitulatif de tout ce que nous avons fait à Socota :

Pour une plus fine compréhension du contexte socio-écologique à Socotá

     Cette partie tient plus d’un essai rédigé à partir de nos expériences et de ce que nous avons vu et compris sur le terrain.

Le Páramo

     Le páramo est un écosystème qu’on ne trouve qu’en Colombie, en Equateur et au Vénézuela. Situé à plus de 3000m d’altitude entre les sommets andins et les forêts en contrebas, le páramo est ultra important pour la Colombie.

     En effet, la Colombie dispose de peu de glaciers, donc peu de réserves d’eau alimentant ses fleuves. C’est en fait le páramo qui occupe cette fonction de source d’eau éternelle, et notamment par l’intermédiaire d’arbres très spéciaux : les frailejones (prononcer « flahileronès »). Ces arbres, mi-cactus mi-palmiers, grandissent d’un centimètre par an et font de la rétention d’eau. Ils régulent ainsi le flux d’eau de pluie s’écoulant des montagnes et irriguent tout le pays. Certains mesurent plus de 2 mètres et ont donc 200 ans. Sans eux, difficile d’imaginer ce à quoi ressemblerait la Colombie…

     Vous vous en doutez, cet écosystème est sensible et est menacé par les activités humaines. Les mines et l’agriculture conventionnelle polluent les sols et sont gourmandes en eau. L’eau courante n’est pas potable en Colombie, sauf aux abords des páramos où l’eau des rivières, purifiée par les frailejones, peut être bue sans soucis. Un agriculteur nous a même expliqué ne pas avoir besoin d’arroser des champs tant l’écoulement de l’eau provenant du páramo les irriguent parfaitement.

     Ces écosystèmes sont donc riches, tant pour l’homme que pour la biodiversité – 60% des espèces y vivant sont introuvables ailleurs. Mais le changement climatique et l’activité humaine locale dérèglent leur équilibre, mettant en danger leurs habitants.

     Les agriculteurs du projet sont conscients du problème, et œuvrent conjointement à leur conservation.

La présence de l'Eucalyptus

     L’eucalyptus est un arbre originaire d’Australie. Importé en Amérique du Sud, on le trouve désormais de la Colombie jusqu’au Chili, dans toutes les Andes. Et à Socotá, nous en avons partout.

     Le problème ? Non seulement les écosystèmes ne connaissent pas l’eucalyptus, et donc son intégration dans la biodiversité est compliquée, mais en plus cet arbre en consomme particulièrement beaucoup d’eau. Dans une région où l’écosystème est fragile et l’eau est précieuse, leur présence fait froncer les sourcils.

     Bien qu’il soit très difficile de mesurer leur impact sur la biodiversité, il est certain que planter une autre espèce aurait été préférable. Car en effet, bien que l’eucalyptus possède sa propre stratégie d’expansion – un bois très inflammable propageant les feux et des graines extrêmement résistantes – c’est bien la main de l’homme qui l’a planté ici.

     Mais pourquoi donc ? Il nous est apparu que, comme dans les zones tropicales, l’eucalyptus pousse bien, très bien même. Il est donc prisé tant pour son potentiel élevé de reforestation – dont la pertinence reste discutable – que pour sa ressource en elle-même : le bois. Nous avons pu l’expérimenter, la pépinière que nous avons construite en est entièrement faite. L’eucalyptus pousse vite, et droit. Son bois est léger et résistant, et n’est pas très large sur les premières années. Idéal donc pour la construction. D’autant qu’une fois coupé, des rejets poussent du tronc. Les agriculteurs de Socotá ont donc plusieurs eucalyptus qu’ils peuvent exploiter encore et encore tous les 5 ans.

     Quelle est donc la pertinence réelle de sa présence ici ? Ses apports compensent-ils son aberration écologique ? Pour le savoir, il faudrait comparer l’empreinte écologique qu’aurait l’importation de matériaux de construction dans une région aussi reculée que Socotá.

Pour en savoir plus sur l’eucalyptus dans le monde : https://www.fao.org/3/ac459f/ac459f.pdf

Le travail dans les Mines

     Depuis quelques temps, des gisements de charbon sont exploités à Socotá. La plupart des mines sont illégales mais tolérées, alors même qu’il est communément admis que leur activité pollue l’eau et les sols. Mais pourquoi alors sont-elles tolérées ?

     Nous sommes arrivés dans la région déjà conscients de l’existence du problème minier. Mais nous ne comprenions pas comment la population pouvait le supporter. Dès les premiers soirs, nous croisions des mineurs rentrant chez eux, le visage et les mains couverts de suie, avec à peine assez d’énergie et de volonté pour nous dire qu’ils filaient se coucher ou pour nous raconter comment ils s’étaient fracturés une côte ou une rotule. Ceux qui travaillaient dans les mines illégales n’avaient pas de contrat ni de protection sociale, et devaient travailler tous les jours à 4h du matin, blessés ou pas. Et le week-end, nous les retrouvions tous dans les bars du village, commençant à boire dès midi. La mairie de Socota ordonne la fermeture des bars à 23h chaque soir pour réduire les problèmes d’alcoolisme, mais cela ne nous a pas semblé suffisant… Pour se représenter la chose, 95% des familles de Socota ont au moins un membre qui exerce un travail en lien avec la mine. Et c’est sans doute là que se trouve la réponse.

     Si la mine est un fléau pour l’environnement et la santé des travailleurs, elle comporte néanmoins des avantages pour les habitants. En effet, le travail minier paye bien. Très bien. Bien plus que le travail agricole. Et l’activité minière crée d’autres activités lucratives : transport du charbon en camion, vente de matériel minier, etc… Toutes ces activités participent à l’augmentation du pouvoir d’achat des travailleurs et de leurs familles, et l’argent des salaires ruisselle sur le reste des activités économiques du village. On trouve donc de nombreux commerces et bars à Socota, et la population nous a paru globalement “riche” par rapport à celle d’Ovejas. Voilà donc sans doute pourquoi les habitants, et la mairie, tolèrent la présence des mines.

     Cependant, cette tolérance se fait au détriment de certaines populations “sacrifiées” : les travailleurs miniers eux-mêmes, mais également les agriculteurs. Si nous avons cru comprendre que la mairie injectait une partie de ces revenus miniers pour soutenir l’agriculture locale, les substances chimiques utilisées dans les mines se retrouvent dans l’eau et dans les sols. Et certains agriculteurs pourraient devoir quitter leurs terres devenus infertiles d’ici quelques années. Bilan mitigé donc…