Centre de séchage cacao - Trésor de Nature Equateur

Sommaire

      1. Le projet Trésor de Nature
      2. Notre mission
      3. Ce que nous avons appris
      4. Réflexions sur l’Amazonie équatorienne

Le projet Trésor de Nature

     Du 6 mars au 15 avril 2023, nous avons travaillé pendant 6 semaines avec Trésor de Nature, une association franco-équatorienne. Cette association possède un terrain de 30 hectares à Puerto Misahualli, dans l’Amazonie équatorienne.

     Trésor de Nature a pour projet de transformer les 4 hectares anciennement en monoculture sur le terrain en parcelle agroforestière, en plus de protéger le reste du terrain accueillant une forêt secondaire.

Rappel : 

  • Agroforesterie : type d’agriculture consistant à associer le plus d’espèces possible sur une parcelle. Toutes les espèces ne sont pas forcément productives. C’est le cas des espèces “forestières”, qui apportent de l’ombre, un stockage d’eau et un vaste complexe racinaire. Cette diversité revigore l’écosystème, revitalise le sol, protège les cultures des maladies, protège des sécheresses et de l’érosion, etc… Cela permet de se passer de produits chimiques, en plus de stocker du CO2.
  • Forêt secondaire : forêt soumise ou qui a été soumise à l’action de l’Homme. Cela peut être une forêt récemment reboisée, ou une forêt initialement “primaire” exploitée par l’Homme. Si elle reste intouchée pendant plusieurs siècles, elle pourra retrouver son statut de forêt primaire.

     Trésor de Nature souhaite faire de sa ferme un modèle de permaculture et d’agroforesterie, pour y convier des écoliers, des volontaires, ou des entreprises afin de les éduquer à ces pratiques vertueuses. La parcelle contient essentiellement des cacaoyer (~700), et plusieurs espèces formant le système agroforestier : bananes, fruit du dragon, vanille, ananas… mais aussi d’autres espèces d’arbres non productivistes, natifs d’Equateur, qui enrichissent l’écosystème.

     L’association pratique également l’apiculture (abeilles apis) et la méliponiculture (abeilles mélipones). Cela permet de faire prospérer l’écosystème via la pollinisation, mais aussi de préserver la diversité des espèces d’abeilles : les habitants de la région n’ont pas tous des pratiques et voient parfois les ruches comme une menace. Trésor de Nature propose donc de récupérer les ruches avant qu’elles ne soient détruites, puis de veiller à leur bon développement. Elle en tire aussi des produits (miel, propolis, cire…).

     L’association mène aussi régulièrement des projets de sensibilisation à Puerto Misahualli auprès des collégiens. Lors de notre séjour, elle les a accompagnés dans la reforestation des berges du fleuve Misahualli. Trésor de Nature s’efforce également de constituer un réseau d’associations de conservation à travers l’Equateur, afin de mener une action coordonnée, notamment par un programme d’accueil de volontaires qui aident plusieurs projets à la suite durant leur volontariat. Cela leur offre une vision plus globale du problème environnemental en Equateur.

Notre mission

a) Processus de séchage

     Il nous a été confié comme mission de construire un centre de séchage pour le cacao. Principal produit de la ferme de Trésor de Nature, le cacao est aujourd’hui largement négligé dans son processus de séchage à travers le monde. La technique la plus répandue consiste simplement à faire sécher les fèves sur le trottoir, ce qui altère la qualité. Vous avez sûrement déjà ressenti l’amertume en mangeant du chocolat noir ? Eh bien sachez qu’un cacao correctement séché ne donne pas un chocolat amer, même lorsqu’on frôle les 100% de cacao.

     En effet, le processus optimal fait intervenir une étape de fermentation du cacao, en plus de l’étape de séchage. L’association nous a donc demandé d’étudier les processus pratiqués par les experts aux alentours de Puerto Misahualli, afin de définir la technique la plus adaptée pour son cacao. Nous avons opté pour un processus en 3 étapes :

  • Étape de pré fermentation : on dispose les fèves sur une table en acier inoxydable en pente douce afin de faire couler le jus entourant les fèves fraîches. On récupèrera ce jus pour en faire des produits transformés : cidre, vinaigre, ou simplement sauce de cuisine.
  • Étape de fermentation : une fois le jus retiré, on place les fèves dans des caisses hermétiques (par exemple dans des feuilles de bananier). Les fèves vont fermenter en atteignant des températures avoisinant les 50°C. Pour éviter les champignons, on mélange les caisses 3 fois par jour, et on peut les asperger avec le vinaigre antiseptique fait avec le jus en étape 1.
  • Étape de séchage : on laisse les fèves sécher sur des mailles en plastique jusqu’à ce qu’elles soient cassantes. Il est important qu’elles ne se chevauchent pas sur la maille, de sorte à ce que toute la fève soit en contact avec l’air, évitant les champignons et accélérant le séchage.

     Tout ce processus nécessite malheureusement des matériaux non bio-sourcés (plastique, acier…), car ils présentent l’avantage de ne pas être sensibles à l’humidité, et donc de ne pas véhiculer de maladies.

Jus des fêves une fois récupéré
Avant / après fermentation

     En quoi ce travail s’inscrit-il dans une démarche écologique ? Transformer son cacao agroforestier de la meilleure des façons permettra à Trésor de Nature de tirer des revenus qui permettront l’autonomie économique du système agroforestier. L’association sera alors parvenue à son objectif : prouver la viabilité économique de l’agroforesterie et justifier la nécessité de la diffuser au vu de tous ses avantages écologiques.

     De plus, un chocolat fait à partir de cacao agroforestier et transformé de façon optimale grâce à notre centre de séchage pourrait être l’un des meilleurs chocolat du monde ! Le commercialiser en expliquant son origine permettrait de sensibiliser les consommateurs aux bonnes pratiques agricoles et à leur intérêt. Les consommateurs pourront ainsi s’impliquer à leur tour dans la lutte écologique !

b) Centre de séchage

     Nous avions donc ensuite comme tâche de construire le centre de séchage (centro de acopio) avec l’aide du maître d’œuvre Jorge. Faire les plans et le design des tables nous revenait, mais Jorge possédait une expertise dans la construction que nous n’avions pas. Nous lui donnions donc nos directives, puis nous suivions les siennes pour la réalisation. Une expérience dans laquelle chacun a appris ! L’humidité du sol argileux nécessitait malheureusement une chape en béton, et les murs et le toit de la serre devaient être en plastique afin de faire monter la température jusqu’aux 40°C souhaités. En revanche, la structure est en bois. Bois d’ailleurs très dense : nous avons senti passé les quelques 100 kg des poutres les plus grandes !

     Nos meilleurs alliés ont été la brouette pour le sable et le ciment, la pelle pour les fondations et l’aplanissement, la scie circulaire pour la coupe, et la visseuse pour… les vis ! Après quelques retards liés à la pluie, à la coupe des arbres (pour le bois) tombés loin de la route sur la parcelle, et l’organisation à l’équatorienne, nous avons fini dans les temps. Mais au prix d’un rush lors de la dernière semaine, qui nous maintenait au travail jusqu’à la nuit noire !

     Nous sommes très fiers de vous présenter notre centre de séchage, que nous avons financé et construit nous-même (avec l’aide de Jorge) ! En effet, l’intégralité du don effectué à Trésor de Nature, à savoir 2500€, ont été investis dans cette construction. Voici donc en image le fruit de votre aide au projet Phoenix Forest !

c) Autres activités

     Hormis la construction de la serre, et pendant les moments d’attente du bois, nous avons participé à la plantation d’un potager médicinal, à une récupération d’une ruche sauvage, et à la confection d’un biochar.

     Le biochar (charbon biologique), appelé plus communément charbon actif, est un type de charbon de bois. Pour en obtenir une quantité satisfaisante, faire un feu de cheminée ne suffit pas. Si vous arrêtez prématurément votre barbecue ou votre cheminée, vous pourrez dégager des cendres des restes de bûches carbonisées. Il existe cependant une technique pour en obtenir significativement plus : la thermolyse.

Un jerricane rempli de bois

     Lorsque vous faîtes un feu, il se passe une réaction de combustion : la matière organique contenue dans le bois s’associe avec l’oxygène pour libérer du CO2 et de la vapeur d’eau, en plus de la chaleur contenue dans les flammes. Cependant, en l’absence d’oxygène, à condition d’atteindre des températures suffisamment hautes, on peut observer une autre réaction. Ce n’est plus de la combustion, mais de la thermolyse. La chaleur suffit à altérer la matière organique, et ne laisser qu’un squelette carboné : le charbon de bois, ou biochar (dont la pureté dépend de la température atteinte). En réalité, cette thermolyse se produit également dans votre cheminée, au cœur des bûches, là où la chaleur est suffisamment élevée et l’oxygène absent.

     Pour ce faire, on initie une combustion en enflammant du bois dans un récipient de métal. Une fois la température recherchée atteinte, on ferme rapidement le récipient, et on bouche les entrées d’air pour couper l’afflux d’oxygène. On a ensuite plus qu’à laisser la thermolyse faire sa magie, puis récupérer le charbon.

     Mais à quoi bon, vous demanderez-vous. Ce processus délicat et technique permet d’obtenir une grande quantité de charbon à partir de chutes de bois (entre autres). Ce charbon pourrait être utilisé à des fins énergétiques, en barbecue par exemple, mais il possède une autre capacité. Le squelette carboné du charbon attire certaines molécules qui viennent se fixer sur ses atomes de carbone.

Iris et Benjamin, volontaires experts en Biochar
Une brouette entière ! En comparaison, le nôtre n'a rempli qu'un petit seau...

     Si on vient tremper ce charbon dans du compost liquide (purin), celui-ci se gorge en nutriment dont raffolent les plantes. On peut ensuite semer le charbon dans notre jardin ou au pied des plantes qui nous intéressent, et favoriser alors leur croissance.

     En Amazonie, cela est particulièrement intéressant. En effet, en raison des fortes pluies, les nutriments sont lessivés, emportés dans les fleuves en contrebas, ou même dans le sol, trop profond sous les tropiques pour que les racines puissent y accéder. Il en résulte un sol très pauvre. Sous les tropiques, les plantes survivent grâce aux autres plantes en décomposition… ou grâce au biochar lorsqu’on en met !

Ce que nous avons appris

A) Biodiversité amazonienne

     Nous avons enfin pu voir l’Amazonie de près ! Sa densité ne déçoit pas tant il y a d’arbres, buissons, lianes, pousses, champignons… La croissance des plantes est continue, et sans machette, impossible d’emprunter un chemin déblayé quelques semaines avant ! Notre regard novice n’a pas su distinguer toutes les espèces différentes, mais nous avons en revanche rencontré un grand nombre d’insectes et autres invertébrés : fourmis, libellules, scarabées, sauterelles… L’activité humaine dans les parages ne favorisait pas l’observation de mammifères, mais les oiseaux étaient eux encore au rendez-vous !

b) Agroforesterie

     Nous avons également pu avancer un peu plus dans notre apprentissage de l’agroforesterie, en comprenant comment était organisée la parcelle de Trésor de Nature et en discutant avec Thorgal, son responsable, et les autres volontaires. Ce séjour fût le théâtre de nombreuses réflexions autour du sujet, et nous progressons pas à pas dans notre découverte de cette pratique extrêmement riche et complexe. Il n’existe pas de modèle agroforestier généralisable à toute parcelle du monde, tant l’équilibre écosystémique recherché dépend de l’endroit ou on se situe. Pente, sol, pluviométrie, ensoleillement, activités humaines environnantes sont autant de paramètres à prendre en compte ! La parcelle agroforestière idéale s’obtiendrait alors peut-être en tâtonnant, en expérimentant, en s’inspirant de son voisin, mais surtout en gardant en tête la philosophie de la permaculture !

c) Cacao

     Naturellement, cette mission nous a amené à découvrir le monde du cacao. De la pousse du cacaoyer, ses techniques de greffe, jusqu’à sa transformation en pâte de cacao, de laquelle sera fait le chocolat tant recherché. Nous avons découvert de nombreuses façons de consommer son fruit, mais également que, lorsqu’il est bien fermenté, le cacao n’a pas d’amertume, ce qui le rend encore plus addictif !

     Le cacaoyer est un “cauliflore” : son fruit pousse sur son tronc, et n’a pas besoin de beaucoup de lumière pour croître. Depuis la nuit des temps, il est considéré comme une plante sacrée. Il était déjà cultivé par les civilisations mésoaztèques en 4000 av. J.C., souvent associé en agroforesterie avec des grandes légumineuses de plusieurs dizaines de mètres leur fournissant ombre et azote (les légumineuses ne se limitent pas qu’aux lentilles, certaines espèces sont des arbres massifs ! Ils ont la faculté très intéressante de métaboliser le diazote de l’air pour le stocker dans les sols, servant de nourriture aux autres plantes).

d) Construction

     Lors de la construction du centre de séchage, nous avons appris comment faire du ciment et à travailler le bois. Mais ce fût surtout pour nous l’opportunité d’être créatif pour imaginer une structure durable dans le temps, ainsi que pour concevoir des tables peu communes ! Nous avons pu nous inspirer de ce qui avait déjà été fait pour l’adapter au mieux aux conditions dans lesquelles nous évoluions. Nous avons été investisseurs, architectes, chefs de chantier, mais aussi ouvriers !

e) Culture

     Par le biais de nos expériences dans le village de Puerto Misahualli et de notre travail, nous avons pu nous découvrir la culture équatorienne, et plus particulièrement son mélange avec la culture Kichwa, peuple autochtone notamment présent en Amazonie équatorienne. Ont émigré dans ce village des Andins et des Kichwa, rentrés pour certains depuis peu de générations dans la société capitaliste. Nos 6 semaines de travail avec Jorge, le maître d’oeuvre Kichwa, nous ont permis d’apprendre la manière de travailler dans la jungle équatorienne : un travail physique sans relâche, une organisation partielle et beaucoup d’imprévus. La faute à une pluie torrentielle intempestive bloquant toute activité ou au respect d’une tradition voulant qu’on respecte le cycle lunaire lors de la coupe du bois !

Jorge, le maître d'oeuvre

Réflexions sur l'Amazonie équatorienne

a) Notion de forêt primaire

     En théorie, une forêt primaire, ou forêt vierge, est une forêt intouchée par l’Homme. L’écosystème est à l’équilibre depuis plusieurs siècles, les arbres dépassent aisément les 150 ans et les 30m de haut (certaines espèces amazoniennes atteignent les 60m). Ils forment alors une canopée tellement dense que la lumière parvenant au sol ne suffit pas à la croissance des plantes buissonnières. L’écosystème est stratifié, et la biodiversité est condensée dans la canopée ou dans le sol et non plus au-dessus de lui. Dans une telle forêt, on pourrait courir entre les arbres. On estime qu’il faut entre 700 et 1000 ans sans intervention de l’Homme pour qu’une forêt exploitée redevienne “vierge” (selon Francis Hallé).

     Vous vous dites sûrement que cela ne correspond pas avec l’idée de la jungle dense que vous vous faîtes de l’Amazonie. Et pour cause : les images des documentaires qu’on peut voir en Europe montrent soit une canopée filmée du ciel si dense qu’on ne voit pas le sous-bois, soit un sous-bois luxuriant, filmé à la caméra. On pourrait se dire : si le caméraman arrive à marcher dans cette densité, c’est que la forêt porte la trace de l’Homme, ne serait-ce que par un sentier. Ce ne serait donc pas une forêt primaire.

Forêt “primaire” de Jatun Sacha

Forêt secondaire de Trésor de Nature

     Ce que nous avons vu est encore plus déstabilisant. Aux alentours de Puerto Misahualli, impossible de trouver une forêt primaire comme décrite ci-dessus. La forêt sur le terrain de Trésor de Nature correspond à l’idée de la jungle dense que nous nous faisions. Mais c’est bel et bien une forêt reboisée il y a quelques dizaines d’années, donc secondaire. Pour apercevoir une forêt primaire, nous avons dû demander à Jorge de nous y emmener. Et à notre grande surprise, ce que le guide Kichwa nous a présenté comme étant une forêt primaire correspondait toujours à cette image de densité. En 4 heures de marche, nous avons vu 2 arbres immenses qui semblaient correspondre à la description scientifique : 150 ans, 60 m de haut. Seulement 2. Rien à voir avec nos attentes de forêt primaire ancestrale. Les Kichwas vivent pourtant dans le coin depuis toujours.

     Et c’est justement là que se trouve la clé.

RAISG - Red Amazónica de Información Socioambiental Georreferenciada

     Sur cette carte – qui était accrochée sur un mur dans la maison de Trésor de Nature – on peut voir en orange toutes les zones habitées en 2021 par des populations indigènes. Le constat est flagrant : plus de la moitiée de l’Amazonie demeurante est habitée, et ce depuis des siècles au moins (le jaune et le violet correspondent aux zones déforestées).

     Ainsi, l’Amazonie primaire inviolée par l’Homme tient du mythe. Des hommes l’habitent et la cultivent depuis la nuit des temps. Mais leur manière de cultiver ne nuit pas à la forêt de la même façon que la nôtre. Eux pratiquent une agroforesterie encore plus extrême que le modèle recommandé par le GIEC dans son dernier rapport !

     Si on jette un œil sur l’Équateur, on se rend compte que nous n’avions sûrement aucune chance de trouver une forêt réellement primaire ! De toute façon, atteindre une forêt non balisée nécessite une expédition s’enfonçant bien plus loin dans la jungle que nous ne pouvions nous le permettre. Pour l’Amazonie comme on la voit dans National Geographic, repassez plus tard !

b) Pertinence de l’agroforesterie

     Lors de notre séjour, nous avons été amenés à voir des monocultures de cacao. La différence entre ces cultures et celle se trouvant sur le terrain de Trésor de Nature est flagrante. Voyez par vous-même :

Monoculture de cacao

Parcelle agroforestière de Trésor de Nature

     On remarque immédiatement la différence de densité entre les parcelles. Vous ne voyez pas les cacaoyers sur la parcelle de Trésor de Nature ? C’est normal, ils sont cachés par d’autres espèces. On comprend rapidement comment l’écosystème est réduit à néant dans une monoculture, et comment il peut continuer de prospérer et de remplir ses fonctions dans un système agroforestier. Au-delà des apports que cela représente pour la culture de cacao (ombre, nutriments, protection contre les maladies…), cela permet de stocker du CO2 et bénéficie assurément à l’écosystème forestier voisin, dont les être vivants profitent au moins partiellement d’un terrain supplémentaire (la parcelle agroforestière) pour vivre. Pour l’homme, s’occuper d’une parcelle agroforestière demande en revanche plus d’énergie qu’une monoculture, la faute à cette même densité bénéfique.

     Au cours de nos réflexions, il nous est paru évident que pour la planète, mieux vaut une forêt, même secondaire, qu’une culture en agroforesterie. Ou peut-être les techniques ancestrales pratiquées par les indigènes entretenaient un écosystème aussi voire plus vif qu’un système forestier ? Cela mériterait une étude approfondie, mais l’espace de forêt nécessaire à leur mode de vie ne serait probablement pas compatible avec une globalisation à l’échelle planétaire.

     La clé serait donc dans la transformation des cultures déjà existantes en systèmes agroforestiers ? Le GIEC estime que plus d’un milliard d’hectares cultivés sont transformables en agroforesterie sur Terre. Le tout selon nous serait de trouver un juste équilibre entre pression humaine sur les espaces vierges et surface agricole nécessaire pour nourrir l’humanité. Cette transition vers l’agroforesterie pose aussi de nombreuses questions : les agriculteurs du monde entier peuvent-ils effectuer cette transition seuls ? Un système agroforestier leur garantira-t-il un même revenu qu’une monoculture ?

     Notre prochaine mission au Pérou avec Envol Vert porte justement sur cet accompagnement paysan. Nous serons peut-être en mesure de répondre à ces questions !

c) Tourisme romantisé et communautés indigènes

     Puerto Misahualli est réputé pour ses singes capucins en liberté dans le village. Leur caractère joueur et glouton attire de nombreux touristes, qui leur donnent volontiers leurs viennoiseries tout juste achetées à la boulangerie de la place principale. Juste devant un panneau indiquant de ne pas nourrir les singes et listant tous les problèmes de santé ou de comportement qui en découleraient. Le comble étant que ces singes ne sont pas originaires de cette partie de l’Amazonie : ils ont été capturés et placés ici pour attirer les touristes. Beaucoup souffrent de surpoids, de cancer et de dépression.

Singe capucin en surpoids de Puerto Misahualli
Communauté indigène au vivant au milieu de la réserve Jatun Sacha

     A travers plusieurs discussions avec les habitants de Puerto Misahualli, nous avons réalisé à quel point les Occidentaux idéalisent l’Amazonie et romantisent ses habitants. Et à quel point les locaux en jouent. Il faut voir les prix ahurissants des tours en barque menant jusqu’aux villages indigènes, la façon dont ces indigènes présentent leur artisanat, leurs habits traditionnels enfilés à la hate à l’arrivée du touriste blanc…  Les mêmes modèles de bracelets, pipes, porte-clés “artisanaux” se trouvent en boutique à l’autre bout de l’Equateur. Et certains habits “traditionnels” leur ont été imposés par les colons espagnols pour les ségréguer.

     Lors de notre promenade en forêt “primaire” avec Jorge – qui avait donc également un arrière-goût de romantisation de forêt vierge, même si nous étions passés directement par un ami Kichwa – nous sommes arrivés dans une communauté indigène vivant au milieu de la forêt, le fleuve leur servant de route. Ils n’avaient manifestement pas anticipé l’arrivée de touristes par la forêt, et se sont empressés de troquer leurs survêtements Nike pour ces fameux habits traditionnels, avant de mettre sur pied leur marché artisanal.

Femme de la communauté nous montrant commant préparée la Chicha, boisson de manioc fermenté

     N’y voyons ni bien ni mal : ce phénomène est gagnant-gagnant. Le touriste trouve ce qu’il est venu chercher, et l’indigène, jouant son rôle, vend de quoi élever son revenu. Nous constatons néanmoins avec amertume que l’élévation du niveau de vie passe souvent par l’achat d’un smartphone, sur lequel ces populations auparavant en autarcie observent et envient la culture occidentale. Une conséquence de la stratégie publicitaire et des réseaux sociaux ? Toujours est-il qu’en s’intégrant à la société capitaliste, eux qui n’avaient besoin de rien pour vivre se retrouvent économiquement extrêmement pauvres, et souffrent parfois de ce fossé sociétal, qui poussent de nombreux jeunes au suicide, nous a-t-on dit…

     Un conseil donc à ceux qui souhaiteraient visiter l’Amazonie : prenez garde au touriste qui sommeille en vous !

d) Colonisation et préservation

     Nous avons aussi appris la façon dont l’Amazonie est sujette à la colonisation, et la façon dont certains tentent de la conserver en Equateur.

     L’Amazonie équatorienne subit depuis quelques décennies un exode andin. Le gouvernement vend des terrains amazoniens à des prix dérisoires à des Equatoriens venant des Andes. Ce sont principalement ceux dont le revenu ne permet pas de rester dans les Andes, région plus riche, qui émigrent ainsi dans le bassin amazonien. Puerto Misahualli est l’un des nombreux théâtres de cette colonisation. On parle bel et bien de colonisation, car les terrains vendus sont parfois sur les terres des indigènes. Plusieurs chocs culturels surviennent alors. 

Misahualli communique sur sa conscience écologique et sociale via les ODD de l'ONU

     Au-delà de vouloir candidement aider ses citoyens les plus démunis en leur offrant un nouveau départ, le gouvernement équatorien chercherait surtout à dynamiser économiquement la région Oriente – l’Amazonie – en exploitant ses ressources. Et dans le même temps, exercerait une pression indirecte sur les indigènes qui refusent de coopérer. Cette colonisation participe activement à la déforestation équatorienne, par l’agriculture et l’exploitation du bois.

     Nous avons cependant constaté une forte conscience écologique à Puerto Misahualli. On y trouve de nombreux panneaux incitant à prendre soin des fleuves et de la forêt, appuyant sur leurs bienfaits. Au centre du village, on trouve aussi une référence aux Objectifs Développement Durable (ODD) de l’ONU.

     La préservation des forêts se fait par deux vecteurs : 

  • Des parcs naturels publics, desquels l’Etat tire des revenus touristiques, comme le parc de Yasuni à la frontière péruvienne, en aval du fleuve sur lequel se trouve Puerto Misahualli, et qui paraît-il abrite une vraie forêt primaire
  • Des réserves naturelles privées, que des militants achètent à l’Etat pour les protéger eux-mêmes. Mais ceux-ci se heurtent tout de même, par manque de moyens, au braconnage, à l’orpaillage ou à la coupe de bois illégaux
Panneau avertissant d'une peine d'entre 1 et 3 ans d'emprisonnement en cas de coupe illégale dans la réserve de Jatun Sacha

     L’Amazonie équatorienne est donc témoin d’un affrontement idéologique sur fond de développement économique et social, parfois mal contrôlé et dévastateur, tant pour la forêt que pour ses populations…

Pour aller plus loin...

     “On parle parfois d’agroforêts pour désigner les milieux où des populations indigènes vivent d’un mélange d’agriculture, de jardinage et de cueillette dans les forêts, pratiqués sous la canopée ou, plus souvent, dans de petites clairières, sur brûlis, avec des pratiques qui ménagent une partie de la biodiversité et lui permettent de se reconstituer rapidement. Ces agroforêts couvraient au début du xxie siècle environ 1,5 million d’hectares rien qu’en Indonésie. Dans le monde, 150 millions d’hommes, autochtones, vivent encore en forêt, presque exclusivement en zone tropicale.”