Agroforesterie Café-Cacao
Envol Vert Pérou

Sommaire

      1. Le projet Envol Vert Pérou
      2. Notre mission
      3. Ce que nous avons appris
      4. Réflexions sur l’agroforesterie de cacao à Tingo Maria

Le projet Envol Vert Pérou

     Du 24 avril au 16 juin, nous avons travaillé avec Envol Vert Pérou, une deuxième succursale d’Envol Vert, association française, après la Colombie. Cette association possède 3 zones d’action en Amazonie péruvienne : Tingo Maria, Pichanaki et Yanayacu-Maquia. Le siège de coordination se trouve à Lima. Dans cet article, nous nous concentrerons sur Tingo Maria et Pichanaki.

     Ces zones font partie du même projet Agroforesterie Café-Cacao, le but et la méthode étant identiques dans ces deux localités. Envol Vert y accompagne des agriculteurs dans leur transition agroécologique, afin de développer des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement. Ici encore, vous connaissez le maître mot : l’agroforesterie ! On vous a déjà parlé des monocultures de cacao, que l’on retrouve à Tingo Maria ; on vous parlera ici également des cultures de café à Pichanaki.

La méthode d’Envol Vert est la suivante :

Etape 1 : Prise de contact avec une communauté d’agriculteurs, appelée “Centro Poblado”, où le potentiel de transition agroécologique est jugé élevé. C’est à dire qu’on y trouve des monocultures, des produits chimiques, un tissu social délité, et un intérêt de la part des agriculteurs pour changer tout cela. Les arguments avancés par Envol Vert sont écologiques, sanitaires et sociaux : adopter l’agroforesterie permettra de protéger l’environnement, fournira des produits meilleurs pour la santé, et renforcera les liens au sein de la communauté.

Etape 2 : Mise en place d’une pépinière communautaire, appelée “vivero”, dans laquelle pousseront des plants d’espèces triées sur le volet, qu’on insèrera ensuite dans les parcelles des participants du projet dans la dynamique agroforestière. La gestion conjointe de ce vivero permettra aux agriculteurs de travailler ensemble, d’échanger leurs idées sur le développement de leurs parcelles, restaurant ainsi le tissu social que les pratiques intensives et ultra-compétitives auraient pu détruire.

Etape 3 : Recherche d’alternatives économiques présentes sur les parcelles des participants. Les systèmes agroforestiers présentent l’avantage de produire des ressources alternatives – autres fruits, miel d’abeille, bois d’œuvre … Envol Vert liste ces ressources et en étudie le potentiel économique, afin d’en développer la commercialisation ou simplement l’usage avec les participants.

Etape 4 : Dispense de montées en compétences, ou “capacitacion”, sur différents sujets, dans une logique chronologique : vie du sol, importance des arbres, faire son compost, gestion de l’eau, développement des alternatives économiques…

Etape 5 : Fermeture du projet une fois les agriculteurs formés et autonomes. L’idée est d’éviter de s’éterniser dans le même centro poblado, ce qui provoquerait une accoutumance, et qui, compte tenu du nombre de centros poblados dans le projet, demanderait trop d’énergie.

  • Etape 1

    Prise de contact avec une communauté d'agriculteurs

  • Etape 2

    Mise en place d'une pépinière commun-autaire

  • Etape 3

    Recherche d'alternatives économiques

  • Etape 4

    Dispense de montées en compétences

  • Etape 5

    Fermeture du projet

Tout au long de ce processus, l’ingénieur agroforestier et les volontaires d’Envol Vert restent attentifs aux besoins et questionnements des participants du projet.

Notre mission

a) Gestion du germoir

     A Tingo Maria comme à Pichanaki, Envol Vert possède un germoir dans lequel sont semées des graines d’espèces d’arbres natives de l’Amazonie péruvienne, destinées à la reforestation. Une fois germés, les plants sont récupérés et transférés dans les diverses pépinières des lieux du projet. L’association travaille avec 6 Centros Poblados à Tingo Maria, et 13 à Pichanaki, chacun possédant sa pépinière.

     La gestion d’un germoir consiste essentiellement à semer, à entretenir – arroser, désherber des “mauvaises herbes” en concurrence avec nos graines, contrôler les insectes et les champignons… – et à suivre l’agenda. En effet, une certaine temporalité est imposée, d’une part par la nature – il existe des périodes de l’année propre à chaque graine pour germer – et d’autre part par les commandes des agriculteurs participants au projet. Chaque année, Envol Vert demande à ses participants quels arbres forestiers ils aimeraient planter sur leur parcelle agroforestière, sur les conseils de l’ingénieur agroforestier du projet. L’association plante ensuite le nombre d’arbres correspondant de chaque espèce pour répondre à cette demande.

     On a parfois cette image simpliste de la reforestation : des plantules dans des brouettes ou des poignées de graines lancées à la volée dans un champ défriché ou brûlé, le tout sur fond d’opération promotionnelle. Sachez que la réalité est bien différente. On ne peut pas planter n’importe quoi, n’importe quand, n’importe où, et surtout pas n’importe comment.

  • Déjà, il faut bien sélectionner l’espèce qu’on plante. Semer un arbre qui vient de l’autre bout du globe et qui n’existe pas dans la région, comme l’eucalyptus en Europe ou en Amérique par exemple, peut présenter un danger biologique. L’espèce ainsi introduite peut ne pas bien s’adapter à son écosystème, pour des raisons climatiques ou biologiques (maladies, concurrence…). Dans le meilleur des cas, elle meure. Dans le pire, elle profite d’avantages biologiques et se répand très rapidement, volant les ressources aux autres espèces concurrentes, qui en souffrent. On parle d’espèces “invasives”, qui dérèglent profondément leur nouvel écosystème. Pour éviter cela, il faut recenser les espèces indigènes de la région et en récolter les graines, ce qui est parfois laborieux surtout quand l’espèce en question produit peu de graines. 

Dans le cas de l’eucalyptus, son bois prend feu très facilement, favorisant les incendies, et ses graines y sont résistantes et repoussent rapidement dans les cendres. Il s’agit là d’une stratégie évolutive “kamikaze” visant à tuer les espèces concurrentes en favorisant la génération future. Elle est particulièrement efficace, surtout quand l’Homme s’intéresse à son bois et favorise davantage sa propagation… aux dépens de la biodiversité.

  • Ensuite, il faut semer à l’époque adéquate. En Amazonie, les saisons sont particulières : les arbres poussent continuellement toute l’année, mais les graines ne “prennent” pas à toutes les époques de l’année. Pour ne pas se tromper et perdre ses graines durement récoltées, il faut se renseigner, auprès d’institutions compétentes, ou directement auprès de la nature avec un œil attentif !
  • Quant au lieu où l’on plante, il faut prendre en compte plusieurs facteurs : climat local, pente, abondance d’eau, espèces environnantes… Si on n’y prête pas attention, l’espèce plantée peut rencontrer des difficultés à s’épanouir. Elle doit pouvoir s’inscrire dans un écosystème non agressif qui saura l’accepter. Dans le cas d’une espèce indigène, l’implantation est plus simple, mais ne suffit pas. Pour étudier tout cela, des connaissances en agronomie et en biologie sont parfois nécessaires.
  • Enfin, la façon dont on plante compte aussi. Hormis la technique, propre à chaque espèce (orientation de la graine ou du plant, recouvrement de terre…), il faut penser nutriments. Si le sol est très pauvre – présence d’une monoculture par exemple – ou très tassé – présence de bétail ou de véhicules entre autres – il est nécessaire de mettre de l’engrais au pied de la plante afin de lui apporter les nutriments nécessaires.
  • Ah, et j’oubliais : la croissance de la plante ensuite n’est pas garantie. Sans eau, sans lumière, sans nutriments, avec des prédateurs, des maladies, ou de la concurrence, notre plante sera mise à l’épreuve !

En bref, s’assurer du bon déroulement d’un projet de reforestation n’est pas aisé. Et le coût global d’un unique plant peut rapidement être élevé. Un reboisement pertinent coûte jusqu’à 5000€ par hectare, selon les techniques et les zones géographiques¹.

     Notre mission était donc de semer, de veiller quotidiennement à la bonne germination, et aussi d’installer un système d’irrigation afin de se faciliter la tâche. Nous avons planté des graines d’acajou (“caoba”) : cet arbre endémique pousse haut et vite, offre une grande surface d’ombre, un grand système racinaire, et son bois se vend cher, donc offre une source supplémentaire de revenu s’il tombe. Il remplit donc tous les critères d’Envol Vert pour être intégré dans ses systèmes agroforestiers !

     A Tingo Maria, le germoir était situé dans la pépinière de l’université d’agronomie, la UNAS (Universidad Nacional Agraria de la Selva). Cela nous permettait de bénéficier d’un terrain gratuit, d’une source d’eau, d’une aide matérielle, en plus de pouvoir sensibiliser directement les étudiants sur leur lieu d’études. A Pichanaki, le germoir se trouvait dans une coopérative de café agroécologique à côté de l’office de travail. Cela permettait ainsi d’y passer des journées après ou avant les réunions pour bien l’entretenir et s’occuper des pousses.

Germoir Tingo Maria

Germoir Pichanaki

b) étude de marché d'une alternative économique

     Les trois missions suivantes nous ont été attribuées afin de tirer le maximum de notre potentiel et de nos connaissances.

      Cette mission d’étude de marché revenait à Noé, fort de sa formation commerciale. Cette étude de marché portait sur un arbre natif de la région de Pichanaki : le Nogal Negro (le noyer noir en français) ou “Juglans neotropica” de son nom scientifique. Cette tâche lui a été attribuée dès son arrivée à Pichanaki et est née d’un réel besoin de sources de revenus autres que le café chez les agriculteurs. En effet, c’est en 2013 que les agriculteurs ont dû faire face à une terrible épidémie de rouille sur leurs parcelles de café. S’en est suivie une hécatombe du café, plusieurs agriculteurs ont dû abandonner leurs parcelles et trouver un travail en ville par manque de revenus. Suite à cette catastrophe économique, Envol Vert s’est implantée à Pichanaki dès 2016 pour reboiser grâce à l’agroforesterie dans un premier temps, et trouver des alternatives économiques durables au café dans un deuxième temps. Deux alternatives économiques sont ainsi en développement : un réseau d’échange de graines certifiées entre agriculteurs et l’exploitation des fruits du Nogal Negro.

Une alternative économique modifie une économie, un marché, en proposant une autre pratique que les pratiques habituelles. Ici, l’idée est de promouvoir l’agroforesterie en diversifiant les revenus des agriculteurs, leur assurant ainsi une meilleure sécurité financière.

La stratégie d’Envol Vert est de développer des alternatives économiques à forte valeur écologique s’inscrivant dans les systèmes agroforestiers pour préserver l’environnement tout en fournissant un revenu supplémentaire à l’agriculteur.

Noix de Nogal Negro
Présentation des graines d'espèces natives de la région de Pichanaki

     Envol Vert souhaite apporter plus de revenus aux agriculteurs mais aussi les rendre moins dépendants économiquement de leur café. Si demain sa parcelle brûle ou est touchée par une épidémie, l’agriculteur doit avoir un autre moyen de gagner sa vie, un “plan B” en résumé.  Le réseau d’échange de graines étant déjà mis en place, il ne manquait plus que la venue d’un étudiant en école de commerce pour développer l’alternative du Nogal Negro !

     Étant endémique de la région de Pichanaki, le Nogal Negro donne des noix très riches en graisses insaturées (Oméga 3 et 6), en protéines et en fer. Pourtant on ne peut retrouver ses noix nulle part dans les marchés de la ville ou même dans la région. Ces feuilles ont des bienfaits médicinaux contre les champignons mais requièrent trop de capital technique à l’ONG pour les transformer. Ainsi, celle-ci s’est rabattue sur la vente de noix et veut donc implanter un nouveau produit sur le marché des fruits secs. Pour cela il fallait analyser le marché, la concurrence et trouver des clients potentiels, d’où ce travail économique d’étude de marché et à terme en offre de vente, dans l’objectif de garantir les meilleurs revenus aux producteurs agroforestiers.

     Le Nogal Negro est un arbre à fort impact environnemental. Il empêche la lixiviation des sols (il lutte contre l’érosion qui emporte les nutriments), il les alimente et les rééquilibre s’ils sont dégradés, et maintient la qualité de l’air tout en apportant de l’ombre aux strates plus basse; bref il est indispensable à l’écosystème local. Malheureusement, il est en voie d’extinction pour son bois très réputé. Pour le préserver, Envol Vert propose ainsi d’exploiter son fruit plutôt que son bois ! (En prenant garde à ne récolter que 2 tiers de ses noix afin de laisser de la nourriture aux animaux et ne pas perturber la reproduction du Nogal, et ainsi conserver l’écosystème).

     En 2 mois, Noé devait proposer une étude complète du marché et ainsi annoncer s’il est possible ou non d’implanter les noix, de quelle manière et combien cela pourrait rapporter aux agriculteurs en fonction de la quantité donnée. Après un premier travail de recherche sur l’arbre, ses fruits, ses bénéfices environnementaux et son apparence, un travail de démarchage s’initia pour analyser la concurrence. Son travail sur le Nogal Negro est résumé dans cette vidéo :

     Nous avons démarché les 2 principaux marchés de la ville et une boutique spécialisée en fruits secs pour comparer la noix de Nogal Negro aux cacahuètes, noix de pécan, amandes et noisettes. Puis nous avons fixé  pour les noix un prix de 50 soles le kilo (environ 12,50€), ce qui en fait les fruits secs les moins chers de la ville, afin de se démarquer de la concurrence. En d’autre termes, cela représente environ 120soles/arbre/an. Rapporté au pouvoir d’achat péruvien, cela équivaut à 120€/arbre/an. Pour une alternative économique, ce n’est pas insignifiant !

     Une étape pouvait alors être franchie : démarcher des potentiels clients et proposer une offre de vente ainsi qu’une présentation du produit. Ce fut le cas pour 2 collèges, 3 cafés/restaurants, 1 université et 2 boulangeries/pâtisseries. Sur 8 établissements démarchés, 7 sont intéressés et peuvent devenir des clients. Ils ont d’ailleurs déjà commandé 1kg de noix pelées pour chacun.


Ce travail de longue haleine a permis de tirer une conclusion : la noix du Nogal Negro est une réelle alternative économique, qui en plus est bénéfique à la planète ! Envol Vert va désormais pouvoir passer à sa commercialisation. On espère pour les agriculteurs que la vente sera assurée dans l’année qui arrive !

c) Elaboration de montées en compétences ("capacitaciones")

     Cette mission revenait à Oryan, passionné par les abeilles et fin pédagogue. Elle consistait à préparer des formations suivies d’ateliers pratiques ensuite présentées aux agriculteurs bénéficiaires du projet. Ces “capacitaciones” portaient sur la méliponiculture : la culture des abeilles “mélipones”.

Ruche sauvage de "Angelitas"
"Piège" attirant les mélipones lorsqu'elles cherchent à fonder une nouvelle ruche

     Natives du continent sud-américain et vivant uniquement en zones tropicales (elles ne supportent pas la fraîcheur de nos pays “tempérés”), ces abeilles sans dard sont essentielles à l’équilibre de leur écosystème. On estime que les abeilles sont responsables de la pollinisation de plus de 75% des fruits et légumes que nous consommons. Il est primordial donc de les protéger car aujourd’hui, certaines espèces sont menacées d’extinction. Pour cause : la déforestation (vous l’aviez vu venir celle-là). En rasant / brûlant / pillant la forêt, l’humain détruit leur habitat naturel et certaines espèces disparaissent. Cependant, l’une d’entre elles s’est particulièrement bien adaptée au mode de vie de l’humain moderne : la Tetragonisca Angustula. Aussi surnommée “Angelita”, on trouve assez fréquemment leurs nids sauvages dans les parpaings et briques des habitations.

     La première “capacitación” portait donc sur la construction et la pose de “pièges” qui accueilleront temporairement les abeilles. Cela consiste à poser une bouteille bien isolée, avec du miel et du propolis à l’intérieur comme appâts, à proximité d’un nid sauvage.

     En effet, les mélipones se multiplient en colonisant de nouveaux espaces qu’elles jugent adaptés à leur survie. L’idée du piège est de les attirer pour qu’elles nidifient dans la bouteille. Ce nid sera quelques semaines plus tard transféré facilement dans une ruche artificielle optimisée qui permettra au méliponiculteur de gérer l’expansion de la colonie et de récolter le précieux miel, mais aussi de prendre soin de la ruche et d’éviter qu’elle ne meure ou soit détruite par l’Homme.

Ruche sauvage transférée dans la ruche en bois

     La première étape a été de bien se renseigner sur le sujet en se documentant et en rencontrant des professeurs de l’UNAS, des ingénieurs forestiers du SERNANP ainsi que des méliponiculteurs professionnels. Nous avons ensuite pensé puis préparé l’atelier en rassemblant le matériel nécessaire, éditant des fiches explicatives que nous distribuerons à chaque agriculteur.trice participant.te pour qu’il.elle ait une trace écrite et puisse ainsi reproduire les gestes chez soi.

Oryan et Merly préparant la formation
Demande de conseil auprès les experts du SERNANP

     Une fois l’atelier fin prêt, il est temps pour nous d’aller directement aux centros poblados pour passer la journée avec les agriculteurs. Au programme : tour de météo personnelle, moment de partage ou chacun exprime son état d’esprit, puis un rapide récapitulatif des connaissances acquises avant d’enchaîner sur la capacitación en question qui se veut participative, théorique et pratique. L’équipe monte les pièges avec les agriculteurs qui pourront rentrer chez eux avec et qui auront le coup de main pour en fabriquer d’autres.

     S’ensuit le travail communautaire à la pépinière qui va du repiquage des plants provenant du germoir de l’UNAS au désherbage et l’entretien. La demie journée s’achève sur un repas partagé tous ensemble, renforçant ainsi les liens sociaux.

Extraction des pousses matures du germoir
Mise en sac et transport des plants
Disposition des plants dans la pépinière

     La seconde capacitación que nous avons élaboré avec l’équipe de Tingo Maria avait pour thème la construction des ruches (“cajas tecnificadas”). Nous avons fait appel à un menuisier qui a découpé les pièces de bois suivant des mesures bien précises adaptées aux Tetragoniscas Angustulas. Les parties seront ensuite assemblés avec les agriculteurs lors de la capacitación et chaque centro poblado installera 2 ruches test.

     Depuis plusieurs mois, Envol Vert sensibilise les agriculteurs aux apports écosystémiques de ces petites abeilles qui ne piquent pas et qu’on ne trouve qu’en Amérique du Sud. Et pour les motiver à les préserver, l’ONG mise sur l’apport économique que représentent ces abeilles. En effet, les mélipones produisent du miel de très haute qualité – cependant en bien moindre quantité que les “apis” : les récoltes se comptent en millilitres et non en litres – qui a des bienfaits médicinaux démontrés. La vente de ce miel, vendu en moyenne 4 à 5 fois plus cher que le miel d’apis, s’inscrit dans le programme “alternative économique” de l’association. La vente du miel représentera à terme (on l’espère) une rentrée d’argent assez stable. Cela permettra de diversifier et compléter les revenus tirés de la vente du cacao qui, comme vous le verrez plus tard, est instable, tout en bénéficiant à l’écosystème.

"Caja tecnificada" assemblée avec les agriculteurs

Il est important de comprendre qu’un organisme environnemental tel qu’Envol Vert ne peut arriver à ses fins écologiques sans prendre en compte la réalité sociale et économique des parties prenantes du projet, et particulièrement de celles qui le “font”, ici les agriculteurs. Il est donc ici essentiel de développer des solutions environnementales lucratives, autrement dit alternatives économiques, tels que les noix ou le miel, afin de motiver les agriculteurs mais surtout rendre faisable le projet.

c) Développement des relations avec les institutions

     Cette mission revenait à David, fort de sa formation ingénieure. Il s’agissait là de cibler les besoins d’Envol Vert dans son développement, d’identifier de potentiels alliés, et de réfléchir aux activités que l’association pourrait organiser avec eux. Ont été sélectionnés des instances étatiques comme DEVIDA (Comisión Nacional para el Desarrollo y Vida sin Drogas), le SERNANP (Servicio Nacional de Áreas Naturales Protegidas), la mairie, et l’université locale UNAS.

     Pour l’université, au-delà des conférences et ateliers de sensibilisation, nous avons pensé à profiter des spécialisations des élèves proposées par les différents Masters de l’université. Afin de proposer une activité bénéficiant à toutes les parties prenantes, nous avons suggéré à Envol Vert de proposer à la UNAS des projets pédagogiques mettant en place des cas pratiques dans lesquels les élèves pourraient utiliser leurs compétences au service des agriculteurs bénéficiaires du projets de l’association, le tout encadré par leur professeur et Envol Vert. Par exemple, les élèves du Master Agronomie pourraient mener des études sur les sols des parcelles des agriculteurs, tandis que ceux du Master Zootechnie pourraient dresser un inventaire de la biodiversité environnante afin d’aider Envol Vert à mieux la préserver.

Ce que nous avons appris

A) Travail à la péruvienne

     Pour la première fois dans ce périple, nous avons travaillé quotidiennement aux côtés de volontaires sud-américains, ici péruviens. Merly à Tingo Maria et Lizett à Pichanaki nous ont parues appliquées, perfectionnistes, et infatigables quand il s’agissait de travailler. Très pointues sur leur domaine d’étude – développement d’alternatives économiques, respectivement abeilles et nogal negro – elles démontraient une réelle motivation pour ce projet, soucieuses de rester réalistes et à l’écoute des besoins des participants du projet pour y répondre au mieux. Il nous a semblé qu’elles n’hésitaient pas à demander de l’aide et croiser les informations afin de maîtriser leur sujet avant de partager leurs connaissances avec les agriculteurs du projet.

     Nous avons également travaillé avec Maximo et Julio, les ingénieurs agroforestiers des deux sites du projet. Mines de connaissances, pédagogues, patients, ils paraissent manier parfaitement la communication avec les volontaires comme avec les agriculteurs. Eux aussi semblent proches de la réalité. Plusieurs fois, avec la gentillesse qui est la leur, ils ont refroidi nos ardeurs de jeunes européens pleins d’idées en tête, pour nous expliquer comment fonctionnent les choses dans la campagne péruvienne. Les agriculteurs sont frileux vis-à-vis des changements. Les produits chimiques et la monoculture leur ont permis d’élever leur niveau de vie, et ils ont peu à peu délaissé la vie en communauté et les travaux communs “faenas”. Le projet d’Envol Vert demande du temps et va à l’encontre de tout ce qu’ils ont connu ces derniers temps. Mieux vaut maîtriser leur langage et leurs attentes afin de ne pas se heurter à la barrière sociale et économique qui se dresse devant ce projet écologique.

Ce fût un plaisir d’apprendre et de travailler aux côtés de ces équipes, qui nous ont donné une petite piqûre de réalisme et d’abnégation !

Merly
Lizett
Maximo
Julio

b) café

     Le café est un produit du quotidien, que l’on consomme tous les jours de manière déjà transformée mais dont on ignore souvent la provenance et son déroulement de production. Le projet de reboisement et café agroforestier de Pichanaki nous a permis d’en apprendre sur tout le processus de production. Déjà, on le cultive souvent en altitude sur des parcelles pouvant atteindre entre 800 et 2000 m, dans des zones où le climat est tropical ou subtropical. On en retrouve ainsi beaucoup en Colombie, au Vietnam, au Brésil mais aussi au Pérou avec 3% des exportations mondiales. On a réalisé cette vidéo pour mieux comprendre sa production et sa transformation :

     Le plus intéressant sur la culture de café est qu’elle est parfaitement compatible avec l’agroforesterie. Dans cette technique agroécologique, on vous rappelle qu’on y observe plusieurs strates d’arbres ayant différents impacts sur la culture principale comme l’ombre, la lumière, l’alimentation des sols, etc… Le café, lui, a besoin d’ombre pour grandir. Il lui suffit juste d’être entouré de quelques arbres, d’un peu d’altitude et d’un climat tropical pour produire comme il faut. 

     Envol Vert a donc des arguments de taille pour promouvoir l’agroforesterie à Pichanaki puisqu’elle est la solution idéale pour produire un café de manière durable et amène aussi de nouvelles sources de revenus grâce à certains arbres fruitiers (ex : Nogal Negro) qu’on retrouve dans les systèmes agroforestiers.

     Nous étions à première vue surpris par la présence de grands arbres forestiers dans les parcelles de café des agriculteurs qui ne participaient pas encore au projet d’Envol Vert. Comme dit plus haut, le café nécessite de l’ombre, et donc des grands arbres. Mais ne nous méprenons pas : l’agroforesterie ne se limite pas à une culture sous des grands arbres. Ceux-ci assurent le système racinaire et la rétention d’eau, mais les sols, pour se restaurer, nécessitent un écosystème entier. Et entier, cela signifie qui inclue les animaux, les insectes, les micro-organismes; ceux-ci ne reviennent que si toutes les strates de plantes sont présentes. On ne doit donc pas négliger les herbes et les arbustes, en plus des arbres moyens (le café ou le cacao par exemple) et des grands arbres ! Et tout ça, ce n’est pas garanti, surtout en présence de produits chimiques… d’autant plus que certains de ces grands arbres plantés par les agriculteurs pour fournir l’ombre au café sont souvent des pins (en raison de l’altitude), qui ne viennent pas d’ici. D’où la présence pertinente d’Envol Vert !

     Alors ne vous méprenez pas, écoutez Noé et consommez du café agroforestier, c’est mieux ! (Bon en vrai, le mieux pour la planète, c’est d’arrêter le café quand on vit en Europe, pour les émissions liées au transport…)

Réflexions sur l'agroforesterie de cacao à Tingo Maria

a) De la coca au cacao

     Tingo Maria était autrefois surnommée la “ville blanche”, étant la première ville exportatrice de coca, matière première de la cocaïne. Afin de lutter contre le narcotrafic, le gouvernement péruvien fumigea les champs de coca aux alentours, éradiquant les cultures et ordonna en lieu et place un grand plan agricole centré autour du cacao. Aujourd’hui, Tingo Maria est nationalement connu pour son chocolat, que de nombreuses entreprises exportent. On y trouve une vaste offre gustative, allant d’un chocolat à la physalis jusqu’à un à l’ananas. Les pourcentages de cacao montent jusqu’aux 99,8%, et on y trouve également du chocolat 100% cacao. Pour avoir goûté les deux, on vous assure que les 0,02% se sentent et sont très agréables !

     Malheureusement, ce rêve est superficiel : ces cultures de cacao ne sont globalement pas durables. La coca a pour effet d’acidifier sévèrement les sols et de les apauvrir, rendant délicate la pousse d’autres espèces – de fait, chaque récolte de feuilles sur un arbre le pousse à repuiser dans les ressources du sol, et la coca se récolte tous les 3 mois. Si on y ajoute la fumigation totale du gouvernement, on obtient un sol acide, rendu pauvre par la monoculture de coca, et saturé d’herbicides. Pas optimal pour démarrer une nouvelle culture donc.

     C’est précisément dans ces conditions que poussent les cultures du cacao. De plus, le gouvernement n’a pas profité de ce nouveau départ agricole pour faire les choses au mieux : plutôt que de proposer un modèle agroforestier, reforestant partiellement les champs par la même occasion, il a encouragé un modèle productiviste bien connu à l’époque : la monoculture sous perfusion d’intrants chimiques. Les sols n’ont pas pu récupérer pleinement, et les cacaoyers sont aujourd’hui largement atteints d’un champignon blanc faisant pourrir les cabosses de cacao directement sur les branches. Sa propagation est facilitée par les variations brutales de température en saison des pluies : autre échec dans la stratégie du gouvernement.

     La production et les revenus s’effondrent chez les cultivateurs, à court d’idées et de fongicides pour lutter contre ce fléau qui se propage de cacaoyer en cacaoyer, sans barrière biologique, ravageant les hectares de monocultures.

Parc National de Tingo Maria
Cacao infecté par le champignon

Note : ce qu’a constaté Noé à Pichanaki est davantage encourageant. Envol Vert y travaille depuis 7 ans, et le café s’inscrit par essence plus facilement dans une logique d’agroforesterie. Une partie des agriculteurs rencontrés faisaient ainsi preuve d’une grande sensibilité aux enjeux portés par l’association.

b) Guide de la transition agroécologique

     Ce volontariat avec Envol Vert Pérou fût avant tout l’occasion pour nous de réfléchir à la pertinence d’un projet d’accompagnement aux agriculteurs dans leur transition agroécologique.

     60 millions d’hectares ont été déforestés depuis 2000 pour l’agriculture¹ (soit environ la taille de la France). En Amazonie, la majorité de cette agriculture est dite “migratoire”, c’est-à-dire que les agriculteurs délaissent leur parcelle une fois que les sols sont trop appauvris par la monoculture et que celle-ci n’est plus assez productive, pour aller brûler la lisière de la forêt voisine et recommencer leur culture sur les cendres fertiles – ce processus dure 3 ans environ. Cela saute aux yeux : il faut régler le problème de l’agriculture en Amazonie – nous avons compris au cours de ce voyage que le problème climatique et écologique est avant tout un problème agricole à l’échelle mondiale, mais nous vous en reparlerons dans notre Encyclopédi’Arbre.

     L’agroécologie, et particulièrement l’agroforesterie, permet de restaurer les sols et de conserver leur productivité. L’agriculteur n’a ainsi plus besoin de “migrer”, et la déforestation ne va pas plus loin. En plus, l’agroforesterie fait regagner du terrain à la forêt !

    Voilà la théorie, et sa solution magique. Le problème, c’est qu’on se heurte à 3 barrières :

barrière temporelle

Les arbres prennent du temps à pousser. On parle d’environ 30 ans avant qu’un nouveau système agroforestier soit mature et pleinement productif (Temps de maturation des arbres les plus lents du système. Les sols eux peuvent se régénérer en 5 ans s’ils sont vraiment endommagés).

barrière sociale

Les méthodes de travail, les pratiques agricoles, l’habitude et la confiance affectent le niveau d’implication des agriculteurs. Et dans un projet d’accompagnement, l’association n’a pas les moyens de faire le travail agricole à la place des participants, ni même de le suivre régulièrement.

barrière économique

Nous l’avons dit, le système agroforestier prend du temps pour se mettre en place. Temps auquel s’ajoute la durée de transition des pratiques de l’agriculteur. Tout ce temps pendant lequel l’agriculteur délaisse la monoculture et les produits chimiques, il perd en productivité et en revenu. Difficile pour certains de concevoir cela, même si on leur promet qu’à terme un système agroforestier sera plus rentable qu’une monoculture avec un sol complètement mort et des produits chimiques indexés sur le prix du pétrole. Certains acceptent le pari par sensibilité écologique – et pour leur santé, les produits organiques étant tout de même meilleurs – mais comment convaincre la majorité ?

     C’est sur cette dernière barrière que nous avons particulièrement cogité. Au point de faire une présentation à toute l’association, que vous pouvez retrouver sur notre précédent article ici – abordant également une 4e barrière propre aux projets d’accompagnement : l’assistanat.

     D’ici la fin de notre voyage, avec du recul, nous reviendrons sur notre expérience dans sa globalité, et nous vous donnerons notre ressenti sur la meilleure façon de lutter contre la déforestation – s’il en existe une !

 

     De fait, nous avons constaté ces barrières directement sur le terrain, et nous avons dégagé plusieurs points particulièrement importants :

1.

Changer les mentalités et les pratiques est une tâche réellement difficile, surtout quand cela est synonyme d’effort physique ou mental. Lors d’une activité de sensibilisation ouverte au public, nous devions réexpliquer à maintes reprises le fonctionnement d’un écosystème et ses bénéfices – on espère qu’à force, vous lecteur l’avez compris ! Lors d’un atelier pour apprendre comment attirer les abeilles dans une nouvelle ruche, nous avons fabriqué les pièges avec les agriculteurs, qui les ont oubliés en partant sans autre préoccupation. Les produits chimiques et la monoculture excluant toute diversité sont par essence des pratiques battant toute concurrence par leur simplicité.

2.

Pour changer ces pratiques, la première étape, parfois négligée ou du moins pas assez appuyée selon nous, serait de s’assurer que les agriculteurs ont réellement compris de quoi il retourne. Tant quand on leur présente le projet de transition agroécologique au début que quand ils participent à un atelier de montée en compétence. Sans parfaite compréhension, on ne peut travailler en autonomie et conserver sa motivation dans son processus de transition. 

Avez-vous déjà résolu un exercice de mathématique sans maîtriser le théorème ? Imaginez alors l’agriculteur perdu dans sa parcelle, ne sachant reconnaître les arbres qu’il vient de planter des mauvaises herbes environnantes. Un écosystème est autrement plus complexe à comprendre qu’un cours de maths ! Et une mauvaise compréhension des notions entraîne une perte de confiance en soi ainsi qu’en la source partageant la notion.

3.

Afin d’assurer la motivation, il faut gagner la confiance. Surtout quand il s’agit de parier un revenu. Il nous est apparu que le meilleur moyen pour partager les connaissances, que ce soit pour présenter les bienfaits d’une parcelle agroforestière ou pour expliquer comment attirer une nouvelle colonie d’abeilles, le plus pertinent et efficace serait de montrer un exemple prometteur, sous forme de stage de découverte (ce qu’Envol Vert appelle “pasantias”). Par exemple, il faudrait présenter l’agroforesterie en visitant une parcelle agroforestière mature, en constatant la qualité de ses produits et en échangeant avec son propriétaire sur son ressenti durant sa transition, ainsi que son niveau de vie – revenu, mais aussi santé et bien-être. Les nouveaux agriculteurs participants du projet pourraient ainsi avoir une référence et ne pas naviguer à vue en écoutant les conseils d’inconnus – surtout si ce sont des étrangers citadins…

4.

Enfin, afin de populariser l’agroforesterie et de faciliter sa mise en place, il serait intéressant de posséder un outil rassemblant toutes les connaissances mondiales sur les écosystèmes et les associations de plantes vertueuses. Des banques de données compilant tous les retours d’expériences agronomiques permettrait de gagner en confiance et en rapidité d’exécution, et surtout de pouvoir initier sa transition soi-même, sans avoir besoin de l’aide d’un organisme apportant un mode d’emploi.

5.

Car il nous semble que là est la clé. Nous avons constaté les immenses efforts d’Envol Vert Pérou, de ses cadres comme de ses volontaires, dans cette tâche d’accompagnement à la transition agroécologique. Cette association ne vit que sur des subventions, ce qui signifie que cette activité n’est pas viable d’elle-même. Inimaginable économiquement de répandre ce modèle d’accompagnement à travers le monde. Pour effectuer une transition à plus grande échelle (on parle pour Envol Vert Pérou d’une centaine d’agriculteurs bénéficiaires seulement), nous aurons besoin d’un effort spontané de la part de tous les agriculteurs du monde. Et que chacun devienne professeur après avoir été élève. Répandre, communiquer, sensibiliser, vulgariser ces pratiques nous semble indispensable. Et pour cela, nous nécessitons des exemples inspirants qui expliquent comment ils s’y sont pris.

Retrouvez Julio expliquant sa vision du partage de connaissance au sein du projet d’Envol Vert Pérou :

     Pour finir sur une note un peu plus légère, on vous partage quelques unes de nos plus belles photos des alentours de Tingo Maria et Pichanaki !

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