Reforestation, apiculture et agroforesterie –
Cœur de Forêt Bolivie

Sommaire

      1. Le projet Cœur de Forêt Bolivie
      2. Notre mission
      3. Ce que nous avons appris
      4. Réflexions 

Le projet Cœur de Forêt Bolivie

     Coeur de Forêt est une association française créée en 2005 dont la mission est de lutter contre la déforestation en France et dans divers pays tropicaux. Sa succursale bolivienne Corazon del Bosque existe depuis 2012. C’est avec elle que nous avons travaillé du 3 juillet au 11 août 2023 à Coroico, à 3h de La Paz, Bolivie, dans l’écosystème des Yungas, qui désigne les pentes andines boisées à la lisière de l’Amazonie. En 5 ans, les Yungas ont perdu 35 500 ha de forêt¹.

Le village de Coroico, perché dans les montagnes boisées des Yungas

     Corazon del Bosque s’est donné pour mission de stopper cette hémorragie, en alliant écologique et social. L’association entend inviter les habitants et les agriculteurs à changer leurs pratiques, tout en leur apportant une aide matérielle et structurelle. Elle travaille donc sur l’agroforesterie et l’apiculture avec les producteurs, et sur la sensibilisation et la reforestation avec les habitants des villages des Yungas.

Pour protéger les forêts des Yungas, Corazon del Bosque fonctionne par pôle :

Le pôle “Agro” travaille sur l’agroforesterie avec les producteurs des environs de Coroico. Il mène également des expériences agronomiques sur la productivité d’une parcelle agroforestière afin d’en prouver la viabilité économique. Enfin, il récupère des graines d’espèces natives des Yungas en vue de reforester avec ces arbres déjà adaptés et vertueux à l’écosystème.

Le pôle “Sensi”, petit nouveau, travaille avec les institutions locales pour mettre en place des programmes de sensibilisation environnementale, notamment auprès des jeunes dans leurs lieux scolaires.

Le pôle “Refo” travaille avec les communautés pour reforester avec elles les espaces dégradés sur leurs territoires – brûlés ou abandonnés après culture. En amont, le pôle gère les 3 pépinières de l’association pour faire pousser les arbres qui seront ensuite plantés dans les parcelles agroforestières et sur les espaces dégradés.

Le pôle “Api” travaille avec des apiculteurs pour préserver les espèces d’abeilles et partager les bonnes pratiques environnementales. Les abeilles garantissent la pollinisation et donc la propagation naturelle des plantes dans la région.

Notre mission

a) Reforestation et pépinière

     La reforestation est un travail fastidieux, qui s’effectue sur toute l’année, les tâches variant selon les saisons.

1. Il faut d’abord préparer le terreau dans lequel pousseront les graines. Celui-ci est souvent un mélange de terre de de compost – lorsqu’il est élaboré de façon écologique. On remplit ensuite ce terreau dans des sacs cylindriques en plastique réutilisable. Afin de veiller à la bonne croissance des plantes, on doit disposer ces sacs en rangées bien droites, afin de faciliter le désherbage et l’arrosage, tout en s’assurant que les plantes poussent droit.

2. Après cette première phase de préparation, à la période adéquate – qui dépend de la région terrestre où l’on se trouve – on commence à planter les graines. On peut les semer dans un germoir de façon très dense pour gagner de la place, puis repiquer les plantules dans les sacs une fois germées, ou bien directement semer dans les sacs. On veille alors à la bonne croissance en surveillant les maladies, les apports en eau et en nutriments si besoin.

3. Vient ensuite la phase la plus connue, mais qui n’est que la partie émergée de l’iceberg : la plantation. Une fois suffisamment grandes, on transporte les pousses sur la parcelle à reforester, ou chez l’agriculteur dans le cadre de l’agroforesterie. On y plante les jeunes arbres et le terreau qu’on dispose dans des trous et on récupère le sac plastique pour l’année suivante. Ce travail est parfois très éprouvant au vu du poids total à transporter, et l’est encore plus si la zone n’est accessible qu’à pied.

Et lorsqu’on est vraiment déterminé, on récolte soi-même les graines à planter l’année suivante, sur les arbres d’une zone qu’on a déjà reboisée par exemple ! On boucle ainsi le cycle !

     En pensant à “reforestation”, vous aviez en tête des poignées de graines lancées à la volée ? Il existe plusieurs méthodes de reforestation. Celle-ci a le mérite d’être économique car demandant très peu de préparation, mais la méthode que nous venons de décrire permet de s’assurer d’un très bon taux de survie des arbres : on ne les transplante qu’une fois qu’ils sont suffisamment forts. De nombreuses incommodités peuvent arriver à une petite graine dans la nature : mangée par la faune, pourrie par l’humidité, attaquée par des champignons… On se prémunit de tout cela par tout ce travail de pépinière dans la deuxième phase décrite ci-dessus !

     Et c’est justement sur la pépinière, à Coroico en Bolivie, que nous avons travaillé avec Corazon del Bosque ! Quelques centaines de graines de plantées dans le germoir, mais surtout environ 32 000 sacs (trente-deux mille !!!) que nous avons disposés, prêts à accueillir nos graines une fois germées. Nous avons ainsi participé à ce travail interminable, qui s’appelle bel et bien reforestation, même si nous n’étions pas en saison de repiquage. Pouvons nous ainsi dire que nous avons reforesté 32 000 arbres ? Toujours est-il que nous avons grandement soulagé Juan, le membre de l’association en charge de la pépinière : en 6 semaines, nous l’avons aidé à effectuer ce qui lui aurait pris de nombreux mois !

Oryan aux côtés de Juan, le responsable de la pépinière à qui nous avons prêté main forte durant ces 6 semaines

On vous a synthétisé les étapes de la reforestation telle qu’on l’a pratiqué avec Corazon del Bosque, le tout en moins d’une minute !

b) Apiculture et méliponiculture

     Si le travail de pépiniéristes était notre tâche principale, nous avons aussi épaulé le pôle Apiculture dans quelques-unes de leurs tâches. Transport de ruches et de miel (par tonnes), surveillance et entretien de colonies… Corazon del Bosque travaille avec des abeilles apis (apiculture) mais également avec des abeilles mélipones (méliponiculture), dont nous vous avons déjà parlé dans notre précédent article sur notre mission au Pérou. Ces deux familles nécessitent un entretien bien différent : les apis produisent beaucoup plus de miel, ce qui nous amène à transporter de lourdes quantités de matériel et de produit. Les mélipones, elles, ne piquent pas, ce qui facilite l’entretien, mais elles sont plus sensibles : la moindre ouverture de ruche par temps pluvieux ou même nuageux peut attirer les mouches et mettre en péril la survie de la colonie ! Nous avons donc assisté à des activités bien différentes, comme la collecte de colonies sauvages (tant pour exploiter leur miel que pour les protéger des nuisibles et de l’Homme), la récolte de miel, les contrôles de routines, et même la duplication de colonies !

Récolte de miel d'Apis
Récolte de miel de Mélipones

On vous a préparé une petite vidéo synthétisant toutes nos activités sur le terrain en Bolivie :

Ce que nous avons appris

A) Abeilles

     Cette expérience bolivienne avec Corazon del Bosque nous aura permis d’étendre encore davantage notre compréhension de l’apiculture et de la méliponiculture.

     Les abeilles apis ont été introduites depuis l’Europe et l’Afrique pour leur productivité, car les régions du bassin Amazonien, hébergeant une forte densité de plantes à fleur, permettent d’en tirer un bénéfice économique conséquent. Ces espèces ne sont cependant pas natives du continent. Si nous pouvons penser qu’elles peuvent nuire à l’écosystème local, nous n’avons pas eu vent d’un tel impact de la part des personnes avec lesquelles nous travaillions. Nous avons au contraire appris que les mélipones, originaires elles d’Amérique du Sud, ne volent pas aussi haut que les apis, et n’entrent donc a priori pas en compétition avec elles. Nous ne saurions dire si les apis si connues en Europe peuvent être considérées comme espèces invasives ou non. Ce qui saute aux yeux en revanche, c’est que leur miel inonde le marché et ravit les producteurs, qui peuvent en vendre des quantités bien supérieures au miel de mélipones. 

     Un facteur qui pourrait nuire à la méliponiculture et donc à la sauvegarde des abeilles mélipones, si leur miel ne se vendait pas plus cher. Car heureusement, les prix du miel de mélipone contrebalancent les quantités. Même si ce savoir-faire semble quelque peu se raréfier au profit de l’apiculture, le miel de mélipone a un goût si unique et exquis qu’il demeure intéressant de pratiquer la méliponiculture. C’est en tout cas le message que Corazon del Bosque tente de répandre.

     Dans les 2 cas, il est bénéfique pour l’environnement de cultiver ces familles d’abeilles car elles assurent la pollinisation d’entre 70 et 90% des plantes. Les élever et augmenter leur population permet ainsi de les préserver elles mais aussi la diversité des plantes environnantes. Et nous avons justement appris comment on duplique une colonie d’abeille apis, que nous vous expliquons en vidéo :

b) Reforestation

     A vrai dire, ce volontariat chez Corazon del Bosque en Bolivie fut la première fois que nous avions à faire de la reforestation pure. Tous les projets précédents travaillaient sur l’agroforesterie, mais ne reboisaient pas à grande échelle des espaces déforestés.

     La différence est grande : en agroforesterie, on intègre des arbres dans les parcelles agricoles, selon un plan commun établi avec l’agriculteur : quelles espèces plante-t-on, à quels endroits… Tandis qu’en reforestation, il s’agit de couvrir entièrement une surface déboisée, avec une diversité significative d’espèces forestières. Cela représente beaucoup plus de travail car beaucoup plus d’arbres à planter.

Diego vous explique le dilemme entre concentrer ses efforts sur la reforestation pure et sur l’agroforesterie.

Vidéo extraite de notre interview long format des membres de Corazon del Bosque

     Autre facteur qui change : si le but initial de l’agroforesterie est de revigorer l’écosystème en plantant des arbres stratégiques, les agriculteurs préfèrent souvent des arbres dont ils peuvent tirer des revenus. Donc des arbres fruitiers par exemple, ou des arbres dont ils pourront vendre le bois à long terme. Ces arbres là n’ont pas toujours les mêmes apports pour l’écosystème que les arbres “forestiers” que l’on retrouve naturellement dans les écosystèmes de forêt. 

     La dernière différence est en lien avec ce point précédent : dans le cadre de l’agroforesterie, l’agriculteur a tout intérêt à prendre soin des arbres qu’il plante, puisqu’il espère en tirer des revenus – directement via ses fruits, ou indirectement via l’apport de vitalité à ses cultures. Dans le cadre de la reforestation pure, personne n’est là pour s’occuper des jeunes arbres ! Le taux de mortalité est donc théoriquement plus élevé.

     Nous n‘avions pas totalement conscience de cela. Ce fut également pour nous l’occasion de découvrir toutes les étapes de la reforestation que nous vous avons décrites plus haut. Nous avions déjà travaillé dans un germoir au Pérou et dans des pépinières en Colombie, mais dans un cadre d’agroforesterie. Les quantités étaient donc ridicules comparé à ce que nous avons accompli en Bolivie. Nous avons ainsi pris conscience de l’ampleur des efforts nécessaires demandés par la reforestation à grande échelle. Des efforts humains comme financiers. Et cela donne encore plus de saveur et d’importance à la préservation des forêts. Chaque parcelle de forêt défrichée pour l’agriculture, chaque hectare parti en fumée dans un incendie, chaque havre de nature converti en pâturage ou en mine stérile se paye écologiquement mais aussi économiquement. En d’autres termes scientifiques : la déforestation est hautement entropique.

     Et si on laissait la forêt repousser d’elle-même plutôt que la replanter à l’huile de coude ? Dans le meilleur des cas, pour une parcelle déforestée au milieu de la forêt, cela prendrait des dizaines d’années pour retrouver son allure initiale. Et quelques siècles avant de retrouver toute sa richesse et complexité écosystémique. Dans le pire des cas, les conditions locales sont tellement dégradées – absence d’humidité apportée par les arbres environnants, produits chimiques dans les sols… – que la forêt ne repoussera jamais comme avant. On assiste alors à un phénomène de savanisation : seuls quelques arbustes et herbes s’y épanouissent.

c) Agroforesterie

     La solution la plus efficace serait alors l’agroforesterie ? On en reparlera à la fin de cet article. Pour l’instant, découvrons la méthode de Corazon del Bosque !

1.

On commence par prendre contact avec un agriculteur intéressé par effectuer sa transition agroforestière. On visite sa parcelle, on récolte des infos, et on signe un contrat de travail commun, qui s’étend sur 2 ans.

2.

On revient ensuite pour faire une analyse visuelle de l’état de la parcelle (inventaire des plantes, des cultures, pente du terrain…), une analyse du sol (vie, produits chimiques…) et du climat environnant (humidité, exposition au soleil…).

3.

On choisit les arbres que l’on pense adéquats pour résoudre les problèmes identifiés (présence trop importante de fourmis, champignons, sécheresse…) : chaque espèce d’arbre peut aider sur certains problèmes.

4.

On propose ces espèces et leur disposition dans la parcelle à l’agriculteur. S’il les valide, on commence le travail. Si elles ne lui conviennent pas – souvent parce qu’il souhaite des espèces à plus forte valeur économique – on doit s’adapter à ses attentes et lui refaire une proposition.

5.

On passe ensuite commande au pôle reforestation pour planter les espèces choisies dans la pépinière.

     Ce travail demande donc beaucoup de patience. Mais les agriculteurs peuvent compter sur l’expertise de Corazon del Bosque dans l’élaboration du design agroforestier (choix des espèces et de leur emplacement). L’association accumule chaque année des savoirs sur les mécanismes écosystémiques de chaque espèce d’arbre. Par exemple, le Sikili est une légumineuse (fabaceae) qui aide à enrichir le sol en azote, ce qui facilite la croissance des cultures alentour. Ou encore le Sacha, qui lutte contre les invasions de fourmis. Tout cela sans utiliser de pesticides de synthèse ou d’engrais chimiques.

Junior présente les étapes d’un projet d’agroforesterie

Vidéo extraite de notre interview long format des membres de Corazon del Bosque

     Corazon del Bosque récolte ces connaissances directement sur le terrain, en discutant avec les agriculteurs et en compilant leurs observations transmises génération après génération. Si l’agroforesterie est pratiquée par les communautés natives depuis la nuit des temps, il n’existe pas encore de registre détaillé couvrant tous les écosystèmes du monde. Il faut donc aller récolter les informations auprès de ceux qui la pratiquent. Ou qui la pratiquaient. Car l’arrivée des produits chimiques a profondément changé le paysage et les pratiques.

La pépinière de Coripata au milieu des colines aux flancs grignotés par les monocultures boostées aux produits chimiques

     Il faut toutefois se méfier de certaines croyances paysannes et inexactitudes. Nous avons appris que le manguier ou l’avocatier par exemple, bien qu’intéressant économiquement comme écologiquement dans un système agroforestier, ne sont pas aimés des agriculteurs du coin. Ceux-ci avancent que ces arbres nuisent aux cultures. Corazon del Bosque nous a cependant expliqué qu’il suffisait de bien les tailler pour qu’ils ne dépassent pas la taille à partir de laquelle ils deviennent trop gourmands en ressources, qu’ils “volent” aux autres plantes des cultures. Par extension, les agriculteurs se lançant dans l’agroforesterie s’attirent parfois les foudres de leurs voisins : “Tu plantes des arbres qui vont nuire à mes champs. Ils vont relayer des maladies et entrer en compétition avec mes cultures”. Corazon del Bosque essaye de démystifier les fausses croyances afin de mettre fin à ce problème social, barrière supplémentaire à la transition agroforestière.

     Pour finir, nous vous partageons l’exemple de Don Lucio, un agriculteur chez qui nous avons effectué la première phase de reconnaissance. A première vue, sa parcelle se porte bien : il n’a pas de mauvaises herbes depuis 6 mois, et son arrosage doux semble bien fonctionner. Mais cela traduit en fait deux problèmes : l’absence de mauvaises herbes est le signe que son sol est mort. Il ne peut donc plus apporter naturellement les nutriments à ses cultures. Lucio est obligé de mettre des engrais pour compenser. Quant à son système d’arrosage, il est nécessaire car les puissantes pluies n’apportent pas réellement d’eau à son terrain en forte pente : son sol est trop sec et compact pour absorber un torrent d’eau. Il doit donc recourir à un arrosage doux et artificiel pour permettre l’infiltration de l’eau et éviter que celle-ci n’érode son terrain, emportant avec elle les précieux nutriments présents dans l’engrais qu’il dispose lui-même. Vous voyez le thème ? Le sol de Lucio n’apporte plus de nutriments, et pire, il rend difficile l’assimilation de l’eau et des engrais !

Don Lucio posant fièrement devant l'une de ses ruches mélipones à curieuse allure
Lucio s'entretenant avec les membres de Corazon del Bosque dans sa parcelle au sol agonisant

     La cause ? D’une part, la progressive disparition de la vie dans le sol, tuée par l’utilisation de pesticides de synthèse. Et d’autre part, la présence d’un “pajonal” juste au-dessus de sa parcelle. Un “pajonal” est une aire déforestée où ne poussent que des herbes, avec un sol très dur et sec. On attribue l’existence de ces “pajonales” aux incendies causés par un nettoyage au feu de parcelle agricole non contrôlé – les agriculteurs, par commodité, brûlent leurs mauvaises herbes ainsi. Résultat : l’eau de pluie ne peut s’infiltrer dans le “pajonal”, et coule en torrent dans la parcelle de Lucio, la lessivant complètement.

Lucio s'entretenant avec les membres de Corazon del Bosque dans sa parcelle au sol agonisant

     La solution ? Lucio a fait appel à Corazon del Bosque pour l’aider à mettre en place un système agroforestier. L’idée est de planter des arbres entre sa parcelle et le “pajonal”. Leurs racines permettront de retenir l’eau se déversant du “pajonal” évitant ainsi l’inondation et restituant cette eau au goutte à goutte dans la pente. Leur feuillage apportera de l’ombre et de l’humidité. Les feuilles mortes seront une source de matière organique et donc de nutriments pour ses cultures. Et la seule présence des arbres attirera de la faune (oiseaux, insectes, microorganismes) qui revitaliseront et décompacteront le sol. En bref, ces arbres restructureront son sol comme il devrait être, en lui apportant eau et nutriments. Lucio pourra alors se passer de l’arrosage et des engrais.

Signature du contrat de travail commun

     Tout cela prendra du temps, car les arbres ne pousseront pas en 1 an : leurs bienfaits ne se feront pas sentir avant plusieurs saisons. Et ce à condition que Lucio veille à la bonne croissance de ses arbres. Mais Corazon del Bosque sera là pour l’épauler pendant les premières années, et lui offrira son expertise, les plants et de l’engrais naturel pour faciliter financièrement sa transition !

Réflexions

a) Pertinence de la méthode Corazon del Bosque

     Il nous a semblé que le projet de Corazon del Bosque en Bolivie est le plus abouti de ceux que nous sommes venus aider en Amérique du Sud. Il est indéniablement le plus vieux, ce qui l’explique peut-être. Nous avons trouvé pertinent le fait que toute l’association soit composée de locaux boliviens, à l’exception de la coordinatrice, Française pour faciliter la communication avec la maison mère Cœur de Forêt, et des volontaires en service civique payés par l’Etat français. Le fait de travailler avec des membres locaux permet une compréhension plus fin de l’environnement social, économique et écologique. Ceux-ci savent parler avec les parties prenantes, et permettent d’intégrer l’ONG dans la vie sociale plus facilement. De plus, l’association crée de l’emploi local, permettant de ne pas limiter son action au domaine écologique.

Nous avons également apprécié leur démarche scientifique. Soucieux de reforester Coroico avec des espèces natives de la région des Yungas afin de reconstituer l’écosystème ayant permis par le passé de faire fleurir toute la diversité locale, Corazon del Bosque adopte plusieurs pratiques. Tout d’abord, ils partent en forêt primaire récupérer les graines d’arbres dont on est sûrs qu’ils sont originaires du coin. Après identification, ils plantent ces graines dans leur pépinière afin de reproduire ces espèces natives et reboiser avec elles. Par ailleurs, le pôle Agro de l’ONG mène des expériences dans les parcelles des producteurs et dans leurs serres pour étudier les bénéfices concrets de l’agroforesterie : qualité et quantité des produits, état des sols, etc… Cela permet d’apporter une preuve tangible de la pertinence de ce modèle d’agriculture d’un point de vue écologique mais aussi économique : nous vous rappelons que la barrière économique présentée par la transition agroécologique refroidit les agriculteurs. Un exemple viable économiquement sur lequel s’appuyer pour les rassurer n’est donc pas un luxe. Corazon del Bosque est la seule ONG que nous avons vue avec cette approche qui nous semble désormais plus qu’essentielle !

Alex et Nelsy expliquent pourquoi mieux vaut reforester avec des espèces locales

Vidéo extraite de notre interview long format des membres de Corazon del Bosque

Retrouvez notre analyse de la rentabilité économique comme barrière à l’agroforesterie dans l’article sur notre mission au Pérou.

     Un troisième point pertinent que nous avons relevé concerne une de leur stratégie en apiculture. Comme nous vous l’expliquions dans notre article sur le Pérou, une ONG n’a pas les moyens d’accompagner chaque agriculteur de sa zone d’action. Il est donc important que les agriculteurs qu’elle choisit d’accompagner puissent montrer l’exemple aux autres, voire même leur enseigner à nouveau les connaissances. C’est très justement la stratégie qu’a choisi Corazon del Bosque sur l’apiculture. Parmi tous ses bénéficiaires apiculteurs, elle en a choisi 10, qui se sont démarqués par leur implication, pour leur enseigner des pratiques plus poussées, dans l’espoir qu’ils puissent à leur tour répandre ces techniques. Le premier atelier porte sur la reproduction de reines, une pratique délicate nécessitant un peu de matériel, mais qui rapporte gros : tout apiculteur néophyte ou qui cherche à augmenter rapidement son nombre de colonies doit acheter une ou plusieurs reines. En fonction de la race de la reine, celle-ci se vend plus ou moins cher. Les Italiens sont les rois de cette discipline, opérant des croisements génétiques (fondés sur des observations de résistance et de productivité des ruches). Si Corazon del Bosque parvient à enseigner ces techniques, cela représenterait une émancipation et de grands apports financiers et écologiques pour les apiculteurs de Coroico ! Intéressés par ces apports, les agriculteurs pourraient envisager d’imiter leurs voisins et de se lancer dans l’apiculture, créant ainsi un cercle vertueux à plus grande échelle. Tout bon pour la préservation de l’environnement !

Corazon del Bosque enseigne à leurs apiculteurs les plus avancés à récupérer les ruches sauvages eux-mêmes, à dupliquer leurs colonies, mais aussi à élever et vendre leurs reines
Mélipones tetragonistas prenant leurs marques dans leur nouvelle ruche
Corazon del Bosque rachète le miel de ses producteurs, le conforme aux normes sanitaires dans son laboratoire, avant de le vendre sous le nom de sa marque

     Une condition pour générer de tels bénéfices est d’avoir accès au marché. Lorsqu’on habite loin des points de vente et que notre production est faible, surtout au début de notre activité, cela peut être délicat. Pour cela, Corazon del Bosque a créé sa marque, désormais homologuée, pour commercialiser les produits qu’elle achète à ses bénéficiaires et ensuite les revendre en grande quantité, ayant elle accès au marché de Coroico et de La Paz. A terme, cette marque pourrait fonctionner comme une coopérative facilitant l’insertion des petits agriculteurs sur le marché !

     Enfin, Corazon del Bosque nous a présenté un dilemme fort intéressant. La pertinence écologique de l’agroforesterie est moindre que celle de la reforestation pure : le climat local dans les cultures permet la croissance naturelle de plantes, tandis que celui des zones entièrement déboisées est parfois trop aride. Le double intérêt de la reforestation, à savoir le stockage carbone et la restauration d’écosystèmes est ainsi plus fort dans le cadre de reforestation pure. Cependant, comme nous l’avons vu plus haut, cela demande plus de travail sur tout le cycle du projet : préparation, plantation, entretien, de sorte que le taux de mortalité est plus élevé et que la réussite finale est à nuancer.

Les forêts des Yungas sont parsemées de “pajonales”, de grandes zones parties en fumée, désormais sèches, où ne poussent que des herbes. Ils sont une cible idéale pour la reforestation, mais les arbres y poussent avec difficulté…

b) Pertinence de l’agroforesterie

     En conclusion après ces 8 mois à travailler dessus, nous aimerions nuancer les bienfaits de l’agroforesterie et apporter un regard critique : est-ce réellement une pratique intéressante ?

     Remarquons tout d’abord que l’agroforesterie reste de l’agriculture. Pas question de faire passer la “foresterie” avant l’”agro”. Le nombre d’arbre plantés au mètre carré dans chaque parcelle reste dérisoire. Bien insuffisant pour espérer stocker du carbone de façon significative, ni pour raviver l’écosystème au niveau de ce qu’il connaissait avant l’intervention agricole. Pour cela, il vaut mieux se tourner vers l’agriculture naturelle.

L'agriculture naturelle consiste à laisser tout pousser dans la parcelle, puis à couper ce qui ne nous intéresse pas, que nous laissons au sol pour nourrir les cultures

     De toute façon, il n’est pas souhaitable agriculturellement parlant de retrouver ce niveau d’écosystème dans nos parcelles : impossible de tirer de grandes quantités de produits dans un milieu “naturel”. Tout est une question d’arbitrage et de mise en place d’un environnement propice à l’épanouissement des cultures sans (trop) nuire à la vie qui se développe autour. En d’autres termes, il faut arbitrer entre économie et écologie à l’échelle du producteur. Et à l’échelle planétaire, il s’agit d’arbitrer entre sécurité alimentaire de l’espèce humaine et préservation de la vie sans laquelle notre existence serait assurément troublée – reste à organiser le dialogue entre ces deux échelles.

Tout est question d'équilibre entre nous nourrir et préserver notre environnement de façon durable

     Sur cet arbitrage, l’Agroforesterie marque un point dès lors que l’on ne la considère pas comme un principe absolu mais qu’on laisse l’agriculteur, consciencieux, déterminer l’équilibre qui lui permet de subsister et de produire la quantité suffisante sans détruire l’environnement.

     Nous avons vu ensemble au fil de nos articles que de nombreuses barrières économiques et sociales se dressent contre l’agroforesterie. Vaut-elle vraiment la peine que nous dépensions notre énergie et nos investissements à tenter de changer les agriculteurs et leurs pratiques – concept d’ailleurs vain selon certains sociologues ? Les retombées écologiques suivent-elles les investissements économiques et humains ? Mais quelle autre alternative sinon ?

     Une stratégie plus douce consisterait à œuvrer purement à la conservation. Mener des projets développant des productions économiquement rentables et préservant directement l’environnement, l’apiculture par exemple, en laissant la nature s’occuper d’elle-même. Et en parallèle de cela, veiller à ce qu’on n’entrave pas son travail, via la sensibilisation. Ce n’est qu’une idée; nous n’avons rien chiffré et ne pouvons comparer son efficacité à celle de l’agroforesterie – ce qui serait de toute façon presque impossible. Mais pour l’anecdote, c’est très justement la direction qu’Envol Vert vient de redonner à ses projets au Pérou face à l’impuissance de l’agroforesterie ! Affaire à suivre donc…

     Pour conclure ce procès de l’agroforesterie, il nous semble que ce n’est pas une mauvaise pratique, bien au contraire. Mais peut-être se trompe-t-on sur son bénéfice le plus important. Celui-ci n’est selon nous pas de stocker du carbone ni de “ramener des jolis papillons” dans nos cultures agricoles. Il se cache ailleurs. Nous expliquions qu’il n’était vraiment pas certain que l’agroforesterie rapporte plus à l’agriculteur que les pratiques conventionnelles. Le bénéfice n’est donc pas là non plus.

     Il s’agirait en fait d’un thème très important dont nous vous parlerons en détail une prochaine fois : c’est la conservation des sols. Dans les grandes lignes : l’agriculture conventionnelle, via ses pratiques, l’usage de produits chimiques en chef de file, tue le sol à petit feu. Sans racines, sans champignons, sans micro organismes… sans vie, le sol se compacte et perd ses capacité à absorber l’eau et les nutriments, puis de restituer tout ça aux plantes. Les cultures étant des plantes, c’est finalement une balle dans le pied que se tire l’agriculteur en pressant la gâchette du spray de glyphosate. Car si elles lui facilitent la vie et augmentent sa production à court terme, ces pratiques conventionnelles rendent le terrain infertile à long terme. Dépassé par les quantités des produits chimiques au coût élevé, face à des épidémies et des mauvaises récoltes chroniques, l’agriculteur n’a pas le choix : s’appauvrir ou migrer. Faire chuter sa productivité jusqu’à vendre à perte, ou se tourner vers des terres encore vierges.

     C’est ce que l’on nomme “agriculture migratoire”. Petit à petit, les agriculteurs rongent les espaces vierges de forêt, cherchant un sol pleinement vivant et productif, qu’ils enrichissent de cendres en brûlant la forêt au-dessus (abattis-brûlis). C’est finalement cela qui nuit le plus à l’environnement. L’agroforesterie a au moins le mérite de préserver les sols et d’empêcher l’agriculture migratoire. Et c’est sûrement là son principal bénéfice écologique.

Notons que cela permet également à l’agriculteur l’économie de l’énergie et du temps liés à la migration.

     Nous aurons l’occasion de revenir sur ce que nous pensons comme technique agricole idéale dans notre prochain article bilan de ce mandat Phoenix Forest.

Sa parcelle devenue infertile, même sous produits chimiques, l'agriculteur déforeste un peu plus loin et recommence son activité. Cette agriculture migratoire provoque une déforestation inexorable...
Abattis-brûlis : on brûle de la forêt pour commencer une nouvelle culture et profiter de la fertilité des cendres. Fertilité qui dure 3 ans tout au plus.

Veronica et Diego vous présentent l’enjeu de l’agriculture migratoire.

Vidéo extraite de notre interview long format des membres de Corazon del Bosque

d) Un cas d’étude pour l’agroforesterie : la coca

     On trouve dans la région des Yungas de très nombreux champs de coca, un arbuste dont on collecte les feuilles pour les mastiquer ou en faire des infusions. Cette plante est depuis longtemps cultivée en monoculture. L’agroforesterie se heurte donc à une grande frilosité de la part des producteurs. Son mode de culture est transmis depuis des siècles et s’est très bien adapté à l’arrivée des produits chimiques. Les habitudes de productions sont extrêmement bien ancrées, d’autant que le marché (plus ou moins) stable de la coca à mastiquer, rassure financièrement ses producteurs. Légale en Bolivie, la coca à mastiquer fait partie de la culture andine au même titre que le fromage en France. Difficile donc de proposer aux agriculteurs de délaisser cette culture pour une autre en agroforesterie.

     Ce serait pourtant une bonne idée pour l’environnement. La coca, comme toute culture dont on collecte les feuilles, est très gourmande en azote, nécessaire pour la croissance des feuilles. Sa culture appauvrit donc grandement les sols et les acidifie. Le résultat est inévitable : sans préservation des sols, cela mène à de l’agriculture migratoire. Les flancs des montagnes des Yungas sont parfois entièrement grignotés par les champs de coca, certains laissés à l’abandon pour leur trop faible productivité. Nous avons remarqué également une absence choquante d’insectes dans cette région. Corazon del Bosque pointe du doigt les insecticides utilisés à outrance dans ces cultures. Autre dommage collatéral : en nettoyant leurs parcelles des mauvaises herbes ou même en colonisant de nouvelles aires de forêt, les agriculteurs brûlent. Et ne contrôlent pas toujours leurs feux. Ce qui donne naissance aux “pajonales” dont on parlait plus haut.

      Un joli cas d’étude pour la pertinence de l’agroforesterie donc !

Champs de coca en monoculture, sources d'agriculture migratoire
"Pajonal" probablement créé par un feu ayant dégénéré

d) Culture indigène VS occidentalisme

     Clôturons cet article avec une réflexion politique et culturelle, qui pourrait s’étendre à l’ensemble de l’Amérique du Sud que nous avons découvert durant ces 9 derniers mois.

     Les habitants des Yungas font preuve d’une conscience écologique indéniable, affichée fièrement et revendiquée par les générations adultes. Le principe théologique de la Pachamama (terre-mère, mère-monde qu’il faut honorer et préserver afin de conserver une harmonie intérieure comme extérieure), la gestion précautionneuse des ressources environnementales comme l’eau, l’importance des plantes sur la santé, la lutte contre les déchets… tout cela se retrouve sur des panneaux ou des peintures à l’entrée des villages. Ainsi que dans les discours que nous avons entendus de la bouche de Don Lucio ou de personnes âgées flânant sur la place de Coroico, la voix pleine de regrets.

     Car cette culture est peu à peu perdue au profit de la culture occidentale consumériste. En atteste l’indifférence de certains adolescents sur la déforestation causée par l’élevage, l’omniprésence de restaurants vendant du poulet frit, tandis que, invités à manger chez une famille rurale, nous découvrions une alimentation culturellement végétarienne.

     De nombreux panneaux publicitaires, situés à l’entrée des villages également, mais 10 fois plus grands que les avertissements écologiques, vendent un modèle économique occidental. Le dernier smartphone, une offre infinie de chaussures de sport, le tout relayé sur les réseaux sociaux par des influenceurs à la peau et aux dents blanchies. Et à la tête de ces incitations à la consommation des ressources naturelles, le président Bolivien prônant fièrement en photo devant de nombreux projets d’industrialisation et d’exploitation d’eau ou de minerais, comme le lithium contenu dans le Salar de Uyuni, mythique lac de sel bolivien.

Les murs des rues de Coroico sont couverts de messages appelant à la protection de l’environnement.

Luis Arce, président de la "République Plurinationale de Bolivie", et son slogan "Nous sommes le gouvernement de l'industrialisation", annonçant l'exploitation de nouveaux déserts de sel contenant du Lithium

     Le message : rattraper le retard en développement économique de la Bolivie, en surexploitant les ressources de la même Pachamama, dans une logique inverse à la culture locale ancestrale. L’Europe a ainsi réellement une dette humaine et écologique depuis Christophe Colomb, qu’elle continue de creuser à travers le néo-colonialisme et son image. Ne vous méprenez pas : ce développement amène assurément confort et santé, mais les retombées ne sont pas aussi grandes qu’espérées, nous a-t-on témoigné. La faute manifestement à des entreprises occidentales ou chinoises remportant les appels d’offres, jouissant de plus grandes renommées et expertises que leurs concurrentes locales, empochant dans le même temps le chèque, richesse qu’elles ne réinvestissent pas localement. Nous pourrions également questionner la notion du bonheur apporté par le progrès après avoir vécu sur ce magnifique continent…

Sources

  • ¹ Diego Vasquez, membre de Corazon del Bosque